L’Histoire d’Haïti a valu de ce pays des dénominations on ne peut plus fascinantes, tels que : « Joyau de Saint Domingue, Perle des Antilles », entre autres. Ces attributs découlent sans doute de la potentialité agricole du pays. Cette prospérité remarquable n’était issue ni de l’exploitation de l’or noir, ni de terres rares, ou encore moins de mines d’or, mais uniquement de l’exploitation de l’agriculture.

Cap-Haïtien, https://www.lemiroirinfo.ca, Lundi 22 Fevrier 2021

En effet, en dépit de la situation actuelle favorable à une migration urbaine à outrance, les faits démontrent que la population est essentiellement rurale (FAO, 2018). Environ 60 % des habitants d’Haïti vivent encore en zone rurale et 21 % vivaient à Port-au-Prince au 12 janvier 2010 (Le Nouvelliste, 2010). Ainsi, le secteur agricole joue un rôle fondamental dans l’économie globale du pays. Selon la Banque de la République d’Haïti (BRH), sa contribution varie entre 24% et 27 % du Produit Intérieur Brut (PIB) de 2011 à 2015 (MARNDR, 2016).

L’accès à la terre tant important pour le développement de l’agriculture, devient au fil des ans un sujet controversé. Bien avant la transition vers la démocratie par l’adoption de la constitution de 1987, la question foncière, notamment à des fins de production agricole, provoqua déjà de gros conflits au sein de la société haïtienne à un point de constituer un défi majeur pour les gouvernements qui se succèdent.

La constitution en vigueur consacre tout un chapitre à la question de l’agriculture et de l’économique et fait de l’agriculture une source principale de la richesse nationale, garante du bien-être des populations et du progrès socio-économique de la Nation (art 247 CRH). Pour y parvenir, un organisme spécial dénommé : INSTITUT NATIONAL DE LA REFORME AGRAIRE (INARA) est créé en vue d’organiser la refonte des structures foncières (domaine de l’Etat) et de mettre en œuvre une réforme agraire au bénéfice des réels exploitants de la terre. Cette politique agraire doit être axée sur l’optimisation de la productivité au moyen de la mise en place d’infrastructures visant la protection de l’aménagement de la terre (Art 248 CRH).

Cependant, force est de constater que des personnes ayant vocation d’agricultrices et qui s’adonnent effectivement à l’agriculture n’ont pas accès à la terre tandis que de vastes étendues de terres fertiles restent libres, inexploitées malgré leur potentiel à l’agriculture et cela en marge de la loi. Qui pis est, la plupart des propriétaires fonciers, une fois approchés par un agriculteur afin qu’ils mettent à leur disposition une portion de terre en vue de son exploitation, déclarent : « Nou pap vann, nou pap bay li nan fèm, e nou pap prete. Tè pa konn gate, kite tè mwen la. » Cette tendance réticente affecte considérablement les secteurs agricole et économique et, par conséquent, devient préjudiciable à la Nation en général et aux paysans, aux professionnels du secteur en particulier, tels que les jeunes diplômés en agronomie et les techniciens agricoles.

Pour pallier à cette anomalie, la loi du 31 juillet 1975 fait obligation à tout propriétaire foncier de cultiver son fonds. Ainsi, l’article premier de cette dite loi dispose : « Le propriétaire dun fonds de terre situé hors de limites des agglomérations urbaines, a pour obligation de le mettre en valeur, conformément à sa vocation, et selon le mode d’exploitation le plus approprié à la conservation et à la productivité du sol. » (Moniteur 21 Août 1975). La loi No IV du code rural de 1962 abordait la question dans le même sens mais avec des termes plus convaincants. Ainsi, l’article 21 dispose : « Le propriétaire foncier est soumis à l’obligation de cultiver, d’exploiter, de protéger le sol, conformément à la Constitution aux dispositions du présent Code sur les cultures et à celle de la Loi Agraire ». On peut aisément comprendre que légalement aucune propriété foncière potentiellement cultivable ne devrait être restée inexploitée. Et, pour être considérée comme exploitée ou en valeur suivant la loi, deux tiers (2/3) de toute propriété foncière doivent être couvertes non pas par des bâtis en céramique ou en métalliques, mais par des cultures, pâturages, ou plantées en essences forestières (Art 32, 2e alinéas). À cet effet, la loi met par l’entremise du ministère de l’agriculture, à la disposition de tous, de ressources humaines pour conseil et accompagnement.

En cas d’inapplication des prescrits de la loi, en cas où des propriétaires fonciers refusent d’exploiter par eux-mêmes leur fonds, c’est à bon droit que le Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement rural doit recueillir de la juridiction des référés la prise en charge de la propriété foncière inexploitée pour une durée déterminée en vue de la mettre en valeur sans aucun dédommagement en faveur du propriétaire.

S’agissant du domaine privé de l’État, les fermiers ne sont pas exemptés de cette obligation. Ainsi, l’article 13 de la loi du 31 juillet 1975 dispose : « lorsqu’il s’agit d’une propriété du Domaine Privé de l’État affermée à un tiers, ce dernier, faute de la mettre en valeur comme indiqué à l’article 3 sera déchu de ses droits par un avis de l’administration générale des contributions, sur rapport du DARNDR, ce, sans restitution aucune du montant de fermage et de les tous autres débours qui pourraient être effectués ».

Enfin, Haïti peut retrouver sa prospérité économique d’autrefois à condition de faire un grand virage à la terre pour le bien-être de la population. Pour y parvenir, le Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du développement Rural doit jouer son rôle de surveillance et de contrôle en permettant aux agriculteurs réels de trouver des terres aux fins d’exploitation agricole. Car, trop de propriétés foncières potentiellement cultivables restent vacantes, tandis que des jeunes diplômés en techniques agricoles ou encore des jeunes agronomes qui veulent mettre leur compétence à contributions n’ont pas accès à la terre et le pire en violation de la loi.

Rithodel CADET

Avocat du Barreau de Cap-Haïtien

Spécialistes en sciences de la terre et de l’atmosphère

+50936150341 / 40023009

cadetrithodel@gmail.com