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A côté de la responsabilité des dirigeants dans leurs choix éclairés de politiques publiques efficientes et efficaces, l’engagement de la société civile organisée et désintéressée, le positionnement de l’intelligentsia comme vigie citoyenne, l’évolution d’un pays dépend aussi de la discipline, de l’intelligence et de la force laborieuse de son peuple. Pour se développer dans l’harmonie, la concorde et l’interdépendance de ses concitoyens, aucun pays ne peut se payer le luxe de tenir certains de ses fils et filles à distance pour quelque raison que ce soit.

Par Kechnord Jean Edmond

LE MIROIR INFO, Lescayes, mardi 10 septembre 2019

Dans l’histoire de la migration haïtienne, il est des époques ou l’expatriation a été imposée ou stimulée par la force des choses. Force est de constater que l’on ne doit pas fustiger le comportement de nos compatriotes qui, pour une raison ou une autre, se sont obligés de quitter le pays à la recherche d’autres cieux plus cléments.  Essayons de nous localiser dans les périodes au cours desquelles nos comportements inappropriés ou barbares occasionnèrent l’arrivée des bottes destructives et impitoyables des yankees.

Après que nous ayons décapité le président Sam et plongé le pays dans l’indécence et l’inacceptable, l’une des puissances colonialistes qui qualifièrent notre indépendance de menace, de défi et d’anomalie imposa avec ses complices un blocus commercial dévastateur et eurent un bon prétexte pour envahir le pays. Non seulement ces sangsues se dirigèrent directement vers notre Banque Centrale pour s’emparer de notre réserve monétaire qu’ils placèrent à la City Bank de New York, mais ils s’emparèrent aussi de certaines de nos ressources souterraines pour ensuite nous imposer la corvée. Voulant fuir cette corvée, un nombre incalculable de nos compatriotes se dirigèrent vers Cuba et Santo Domingo où le grand exploiteur impitoyable de l’Amérique du Nord plaça des usines sucrières sous couvert d’un néocolonialisme déguisé pour continuer d’exploiter la force de travail de nos frères.

Face à ces stimuli et avec aussi l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie qui se détérioraient à cause de la politicaillerie des imbéciles de l’époque, au cours des années 1918-1919, des Haïtiens et Haïtiennes s’expatrièrent vers Cuba et Santo Domingo pour travailler dans les champs de canne à sucre.  Plus près de nous, dans les années 40, plusieurs hommes et femmes formés voyagèrent dans le but de connaître un développement psycho cognitif pour venir apporter leurs pierres dans la construction de l’édifice national. Au début des années 60, Duvalier, dans son élan dictatorial et démoniaque, contraignait une kyrielle de professionnels haïtiens à fuir le pays pour aller s’installer à l’étranger notamment au Canada et à travers « l’alma mater ». Arrivés dans leurs pays d’accueil, par exemple au Canada, ils participèrent à la mise en branle de la révolution tranquille qui a permis à ce pays de connaître un essor considérable jusqu’à devenir une puissance économique.

Au début des années 70, à cause de la détérioration des conditions de vie de la population haïtienne et surtout de la barbarie duvaliériste, un nouveau phénomène vit le jour. Les Haïtiens commencèrent à construire de petites embarcations de fortune pour fuir le pays clandestinement en vue de se rendre chez l’oncle Sam.  Sous le poids de la mégalomanie et de la brutalité des « tontons macoutes » et de la méchanceté des membres d’une armée servile et sanguinaire, le phénomène « boat people » s’amplifia. Les jours se succédèrent et ne se ressemblèrent pas. Le 7 Février 1986, sous la menace et la colère populaire, Baby Doc s’enfuit en France. Depuis, avec la gouvernance des militaires, la gourde commença à dévaluer, les usines commencèrent à être fermées et la production agricole baissa, ce qui menaça considérablement la sécurité alimentaire du peuple haïtien. Le séisme du 12 Janvier 2010 a mis à nu la misère d’un peuple vaillant, courageux et résilient. Le spectre d’un populisme aveugle a tué les espoirs prônés par Lavalas et un coup d’état sanglant suivi d’un embargo imposé par les autorités américaines ont mis l’économie du pays à genou.  Les Haïtiens s’expatrient par milliers vers des pays de l’Amérique Latine comme le Chili, le Brésil et même l’Équateur, sans compter ceux et celles qui ont continué à se rendre en Amérique du Nord, en Europe et aux Antilles.
Peut-on critiquer ces Haïtiens qui ont dû fuir le pays à cause de leurs situations ? Est-ce qu’on devrait leur dresser des barrières pour éviter qu’ils prennent part aux activités de leurs pays ? 

Au regard de ce zoom que je viens de faire sur une partie de l’histoire de la migration haïtienne, devrions-nous les empêcher de participer dans les activités de leurs pays et dresser des barrières à leurs progénitures pour une question de passeport ou de nationalité ?

Par cette pratique, vous barricadez une grande voie empêchant la patrie commune de renaître de ses cendres pour cheminer sur le boulevard du progrès.
Êtes-vous des imposteurs, des farceurs, des bluffeurs, ou faites-vous partie de ceux et celles qui ne souhaitent pas le progrès de ce pays ?

L’homme est le créateur de son propre univers et le forgeur de son propre destin, dit-on. Avez-vous des finalités occultes ?  Voulez-vous voir ce pays avancer ou patauger dans la merde ?

Ce mois de Juin et de Juillet, après avoir constaté à quel niveau que des jeunes qui ne sont même pas nés dans le pays se sacrifient pour faire flotter le bicolore haïtien et qui font la fierté de tout un peuple, je vous demande, comme je le prône toujours, dès ce matin, de cesser cette ambivalence entachée de cette sotte hypocrisie. J’ai regardé une vidéo de Nazon et de Bazile, dans les vestiaires, en train de motiver leurs coéquipiers. Je me demande s’ils ne sont pas la réincarnation de Dessalines. Vous êtes fiers de ces joueurs qui font notre bonheur mais vous vous inscrivez en faux contre la participation de la diaspora haïtienne dans la gestion de la chose publique. Est-ce par honte de votre incompétence ? Vous légiférez pour tenir nos frères et sœurs de la diaspora à distance pendant qu’ils sont responsables de l’écolage, de la maladie, de la nourriture et des funérailles de beaucoup de leurs frères et sœurs et les transferts qu’ils effectuent font un poids incommensurable dans notre balance économique et financière.

Selon une étude faite par une organisation internationale dont je me garde de citer le nom, plus de 70 pour cent de nos jeunes formés s’expatrient depuis le début des années 2000.  Cette fuite de cerveaux affaiblit le pays mais renforce notre diaspora qui, depuis les années 60, comportait les éléments les mieux formés de notre pays. En Haïti, nous avons peut-être 200 à 250 détenteurs de diplômes de troisième cycle (docteurs) qui enseignent à travers le pays, pendant que nous disposerions de plus de 8 à 10 milles à travers les grands centres universitaires internationaux.  Il est clairement prouvé que les valeurs du pays s’expatrient et une grande partie de notre boîte noire se trouve à l’étranger. On est unanime à admettre qu’Haïti regorge d’intellectuels, de professionnels et de techniciens qui se sacrifient pour le pays. Mais certains bluffeurs traditionnels qui sont sur l’échiquier politique et qui accaparent nos espaces, constituent un frein au développement du pays.
Selon plus d’un, l’administration publique haïtienne est bondée de sinécures et nos institutions font face à un dysfonctionnement inquiétant.  Il est dit que seulement 3 à 5 % des employés de l’administration publique seraient compétents pendant que nos professionnels chevronnés fleurissent les administrations étrangères et que nos techniciens aident au développement partout.

Il m’a été très écœurant d’entreprendre des démarches pour une jeune fille qui a fait ses études de médecine à l’étranger pour une simple question de service social. Vos consciences morale et citoyenne sont en veilleuse. Réveillez-vous chers frères et sœurs pour ouvrir largement les portes du pays à sa diaspora qui peut contribuer amplement à son développement.
Par conséquent, je suis venu, par la présente, vous demander, de changer les lois discriminatoires et scélérates qui empêchent les fils et filles d’Haïti de participer au développement de leur pays. « Jus soli ou jus sanguini », I don’t care, o no me importa eso. Ils ne devraient rien signifier à ce carrefour précis de la chose. Tout Aysien  se Aysien, qu’ils aient la chance d’occuper n’importe quel poste dans leur pays, quels  que soient la couleur ou le contenu de leur passeport.