Par : *Delcarme BOLIVARD, Av.MA*

 _ »Le caractère fort d’un BÂTONNIER ne signifie nullement grossier et vulgaire. »_

Le BÂTONNIER de l’Ordre est avant tout, un avocat militant, expérimenté, respectueux et respectable. En tant que « *primus inter pares* » (premier parmi ses pairs)[1], il est chargé de présider l’Ordre des avocats et de représenter ses membres. Il exerce des fonctions administratives et disciplinaires; notamment il règle les litiges nés d’un contrat de collaboration ou d’un contrat de travail et les différends entre Avocats à l’occasion de leur exercice professionnel[2]. Cette approche définitionnelle fait du BÂTONNIER d’abord, un gestionnaire de l’Ordre en commun accord avec les autres membres du conseil, ensuite, un défenseur des défenseurs dans le cadre de leur fonction.

Le Juriste professionnel, Me Gérald Cornu, voit en un BÂTONNIER, quelqu’un qui préside un conseil de l’Ordre, le représente au besoin et exerce au sein du BARREAU une Magistrature morale consistant à prévenir ou à concilier les différends d’ordre professionnel entre les membres du Barreau et à instruire toute réclamation formée par les tiers[3]. En effet, nous comprenons l’idée du professeur Cornu qui fait du BÂTONNIER un homme morale dont le comportement professionnel doit préserver l’honneur et la dignité qui caractérisent tout vrai Barreau. Ainsi, doit-il être au-dessus de la mêlée et ne s’implique point à des causes qui pourront ternir son image et celle de ses représentés.

Il est évident de mentionner en pareil cas, que le titre de BÂTONNIER de l’Ordre ne sera pas accordé à tous, comme il est dit : « *No licet adire corinthum* » (Il n’est pas permis à tout le monde d’aller à Corinthe)[4], car, la route est boueuse et épineuse. De surcroît, la richesse d’un avocat ne pourra pas faire de lui un BÂTONNIER de caractère fort s’il se trouve que son être soit souillé dans la profession en défendant mal son client au bénéfice de son économie. Pourquoi, des instruments juridiques tant internationaux que nationaux relatifs au fonctionnement de la profession d’Avocats fixent les règles du jeu de façon à ne pas permettre à n’importe Avocat de se rêver BÂTONNIER.

*A- Sur le plan international*
 *Principes de base relatifs au rôle du barreau*

Adoptés par le huitième Congrès des Nations-Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à la Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990[5], les principes de base relatifs au rôle du barreau est un instrument juridique régissant la vie professionnelle des Avocats à l’échelle internationale. Mettant en relief la Charte de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), les Déclarations, les Pactes, les Traités, Conventions internationales ; dans 29 articles, les principes aidant à comprendre le rôle des barreaux, expliquent ce qu’est un Avocat dans sa nature professionnelle par rapport à un ensemble de normes établies, et son devenir comme BÂTONNIER sous base d’expériences, de compétence et de moralité liée à la Déontologie de l’avocature.

En son article 4, il dispose :  »  _Les pouvoirs publics et les associations professionnelles d’avocats promeuvent des programmes visant à informer les justiciables de leurs droits et devoirs au regard de la loi et du rôle important que jouent les avocats quant à la protection de leurs libertés fondamentales… « [6]_. Cet article nous montre clairement que le bon avocat qui deviendra BÂTONNIER doit être un promoteur et protecteur des libertés publiques tout en contribuant et participant à la formation civique des citoyens pour qu’ils sachent sans inquiétude, et cela en tout lieu, en toute occasion, ses droits et devoirs. C’est ainsi que Jean-Jacques Rousseau eut à dire et nous citons : _ »Le citoyen est un être éminemment politique qui exprime non pas son intérêt individuel, mais, l’intérêt général. »[7]_

L’article 9 des principes de base relatifs au rôle du barreau prévoit :  » _Les pouvoirs publics, les associations professionnelles d’avocats et les établissements d’enseignement veillent à ce que les avocats reçoivent un enseignement et une formation appropriés et aient connaissance des idéaux et de la déontologie de leur profession, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnus par le droit national et international. »[8]_ Cet article fait montre de la nécessité qu’il y a chez les autorités étatiques, ainsi qu’aux regroupements professionnels d’avocats de participer à la formation adéquate des défenseurs publics. Ce, pour la bonne défense des droits et intérêts des membres de la population. Donc, un avocat sans grandes formations diversifiées ou sans un carnet d’adresse nationale et internationale, ne pourra devenir un Grand BÂTONNIER de caractère fort pour manque de maturité intellectuelle.  _ »Les avocats, en tant qu’agents essentiels de l’administration de la justice, préservent à tous moments l’honneur et la dignité de leur profession. »[9]_ (article 12). En fait, pas de grand BÂTONNIER sans un grand avocat.

Un BÂTONNIER à la tête d’un conseil de l’Ordre, entre autres, a pour objets de représenter les intérêts des avocats, de promouvoir leur éducation et leur formation continue et de protéger leur intégrité professionnelle (article 24)[10]. Le BÂTONNIER assure la discipline au sein du Barreau au nom de la loi et fait respecter les règlements intérieurs régissant l’Ordre (article 27)[11].

En effet, les principes de base relatifs au rôle du barreau constituent un outil juridique international qui définit les grandes lignes de la profession d’Avocats. Et c’est à ces principes qu’il faut se référer pour parler de la qualité d’un BÂTONNIER.

*B–Sur le plan National*
Notre étude sur le statut de BÂTONNIER de l’Ordre des avocats à Haïti au regard de la loi ne s’arrête pas sur l’angle international. Elle se poursuit sur la voie du Droit national.

 *La Constitution haïtienne du 29 mars 1987 amendée le 09 mai 2011*

Comme l’acte Fondateur de la nation haïtienne, la Constitution en vigueur a été élaborée, votée et promulguée dans le Journal officiel de la République,  le Moniteur, entre autres, pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur, conformément à son Acte d’Indépendance de 1804 et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ; Pour instaurer un régime gouvernemental basé sur les libertés fondamentales et le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité de genre…(Préambule de la constitution).

Tous les droits fondamentaux sont prévus et garantis par la loi mère de la nation haïtienne. Mais, dans la réalité, certaine fois, les droits des citoyens sont bafoués, soit pour manque de moyens économiques, soit pour faute de connaissance de ses droits. Pourquoi, l’État a mis sur pied le Bureau d’Assistance Légale (BAL) pour subvenir aux besoins juridiques des démunis du pays. Et la Constitution dont on parle, dispose en son article 25.1 :  » _Nul ne peut être interrogé en l’absence de son avocat ou d’un témoin de son choix. »[12]_ A cela, le BÂTONNIER de l’Ordre est en droit de contribuer à la promotion du respect des lois et des droits humains en permettant à la Justice d’être effective dans les tâches. Donc, le BÂTONNIER est un Homme de cœur, conscient du rôle qu’il doit jouer dans le progrès de la Justice de son pays et dans la promotion des principes de la démocratie.

 *Décret du 29 mars 1979 révisant la loi du 06 mai 1932, le décret du 21 janvier 1946, et réglementant, sur de nouvelles bases, l’exercice de la profession d’avocat*

Publié dans le Journal officiel de la République, le Moniteur, au numéro 31 du 16 avril 1979, le Décret susdit confère aux avocats haïtiens un cadre légal dans l’exercice de leur profession. Il retrace la nature du professionnel du droit, l’avocat, dans sa noble mission de défendre les droits et intérêts des membres de la population dans le stricte respect de la loi. Il aborde la question du BÂTONNIER de l’Ordre en faisant de ce professionnel, un personnage spécial dans l’accomplissement de ses actes légaux.

Pour être élu BÂTONNIER, selon le décret du 29 mars 1979 en son article 34, il faut être : _ »Avocat militant[13] au moins cinq années consécutives, n’avoir encouru aucune condamnation disciplinaire ou de droit commun alors même que le condamné aurait bénéficié d’un arrêt de grâce. »[14]_  L’esprit de cet article ne montre nullement le caractère grossier qu’il faut avoir, selon plus d’un, pour être BÂTONNIER. Ce dernier n’est pas un militant politique au sens plein du mot dans le langage populaire haïtien. Mais un homme de haute compétence et de sagesse, très expérimenté dans la gestion de l’Ordre des avocats. Animé d’un esprit équilibré professionnel, il préside l’assemblée générale et le conseil de discipline. Au moment opportun, il départage les membres et représente l’Ordre dans les actes de la vie civile qu’il accomplit conformément aux décisions arrêtées[15].

Comme l’un des grands noms de la société civile, le décret dont s’agit fait du BÂTONNIER un invité de marque dans les cérémonies publiques. Ainsi, mentionne-t-il à l’article 36 dudit décret : _ »Dans les cérémonies publiques, une place est désignée au BÂTONNIER ou à son représentant. »_

A noter que, celui qui porte l’étoffe de BÂTONNIER, même après son mandat de deux ans qui lui est conféré par l’assemblée générale au scrutin secret à la majorité relative, doit continuer à se prouver grand, tant dans ses actes au quotidien, qu’au niveau de la profession d’avocat. Le BÂTONNIER de l’Ordre n’est non seulement le défenseur des défenseurs, mais, il sert d’intermédiaire entre les justiciables et les Avocats au besoin. Donc, un barreau fort est le reflet de l’image d’un BÂTONNIER fort.

En sommes, à la lumière de la vocation du BÂTONNIER formulée respectivement par les instruments juridiques internationaux et nationaux, nous retenons qu’être BÂTONNIER est le fait d’avoir la maîtrise de la profession d’Avocat sous la base de la compétence et de la moralité et de l’éthique professionnelle. C’est également un orateur dont la force de la voix provient de ses verves, de son savoir-faire et de son esprit innovant. Mais, avec le temps, quelqu’un dont le rêve est de devenir BÂTONNIER d’un Conseil de l’Ordre des Avocats à Haïti, ne devrait-il pas un adepte des Nouvelles Technologiques de l’Information et de la Communication (NTIC)? N’est-il pas important qu’il ait, outre ses connaissances juridiques, des carnets d’adresse nationale et internationale? Et qu’en est-il de sa formation pluridimensionnelle?[16]

 *Delcarme BOLIVARD, Av.MA*

 *26/09/2019*
[1]https://fr.wikipedia.org › wiki › Bâtonnier,      Consulté le 25/09/2019 à 1 h 30 PM
[2] Lexique des termes juridiques, 21ème Ed. DALLOZ, P. 113
[3] Gérald CORNU, Vocabulaire Juridique, 11ème Ed. Mise à jour ‘’Quadrige’’ 2016 P. 124
[4] Cette expression a pour signification : « Vu les difficultés qu’elle engendre, la réussite n’est pas permise à tout le monde ».
[5] Pierre GAGNON et Hugues SURPRENANT, Droit international de la personne : Garanties judiciaires et conditions de détention, P.35
[6] Ibid P.4
[7] Josué MÉRILIEN, Haïti éducation à la citoyenneté : enjeux et perspectives, Ed. Les engagés, Vol.I, 2018 P. 26
[8] Pierre GAGNON et Hugues SURPRENANT, op. cit. P.9
[9] Ibid. P98
[10] Ibid P. 99
[11] Ibid.
[12] Constitution haïtienne, amendée, P. 16
[13] Pierre Marie MICHEL, Manuel de procédure civile, art. 13, Ed. LA PERICHOLE 2010, P. 354
[14] Ibid. P. 358
[15] Ibid.
[16] Considérations spéciales de l’auteur.
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