Le monde connait une crise sans précédent. Cependant, elle favorise la libération des détenus coincés entre les quatre murs des centres carcéraux d’Haïti dans l’objectif d’éviter une contamination massive. Les autorités judiciaires haïtiennes annoncent des jugements célères pour décongestionner les prisons haïtiennes. Le professeur de Droit, Me Guerdy Blaise s’interroge sur la confusion qui règne dans les vocabulaires utilisés par les autorités judiciaires. Il croit que cette démarche est plutôt est déloyale sans tenir compte des principes de l’équité dans les audiences spéciales prévues.

Port au Prince, https://www.lemiroirinfo.ca, Jeudi 02 Avril 2020

L’initiative relative à la tenue des audiences spéciales liées au COVID-19 est louable mais elle paraît incompréhensible quant à son objectif principal.

Les autorités politiques et judiciaires visent quoi exactement: le désengorgement de la justice ou le désengorgement des prisons ? Maîtrisent-elles vraiment certaines notions et expressions juridiques?

Cette pandémie ne peut pas servir de prétexte à l’admission de la confusion juridique, de l’incompréhension et de l’incompétence juridiques. Car, la justice repose sur le principe fondamental, qui est l’équité. Or, une liste de 90 détenus, soumise au ministre de la justice, est retenue dans le cadre d’une procédure d’habeas corpus et de mise en liberté pour raison humanitaire. Si ces procédures sont légitimes, elles se heurtent aux principes de  l’indépendance de la justice et du libre arbitre du juge en matière de jugement.

Bien que le ministre de la justice soit le gardien de l’application de la politique pénale gouvernementale, il n’en demeure pas moins qu’il lui est interdit de faire immixtion dans le processus judiciaire au regard de la séparation des pouvoirs. Alors, d’une part, en soumettant une liste de détenus sélectionnés au ministre de la justice sur la base de l’état d’urgence sanitaire qui bénéficieraient d’une procédure de jugement d’exception, le parquet de Port-au-Prince méconnaît son rôle d’acteur judiciaire et cette initiative contrevient au principe de l’indépendance de la justice.

 De fait, cette liste aurait dû être établie sur avis du service médical de l’administration pénitentiaire. Saisissons alors de l’opportunité de cette pandémie pour instituer le régime pénitentiaire au sein de notre droit.

D’autre part, tous ces détenus, accusés ou prévenus, vont faire l’objet d’un jugement. Cela suppose que leurs dossiers doivent être appréciés par un juge, dont le rôle est, soit de  transformer les preuves évoquées en une certitude de motifs sérieux pour justifier leur mise en liberté sur la base des raisons humanitaires, soit de conclure au maintien de leur détention en constatant l’insuffisance des preuves liées aux raisons humanitaires. C’est ce qu’on appelle le libre arbitre du juge.

Cependant, la démarche initiée par ces autorités ressemblerait  à une présélection d’une panoplie de détenus pour une libération judiciaire sans « la parole du juge » ou avec la décision connue à l’avance du juge.

Même sous la menace d’une arrestation, je ne peux pousser plus loin ma résistance face à mon devoir citoyen d’affirmer que cette initiative est inspirée de la  pure idiotie et d’une fantaisie judiciaire. C’est loin d’être du droit.

En tout état de cause, la libération de ces détenus n’emporterait que le désengorgement de la justice mais non celui  des prisons.

Partant, il serait mieux de se pencher sur les condamnés pour donner du sens à cette initiative et l’immixtion du ministre de la justice aurait été justifiée et compréhensible.

            Auteur : Me. Guerby BLAISE