Le conflit opposant l’ULCC et le Parquet de Port au Prince, a été analysé et interprété par Me Guerby BLAISE, Enseignant-chercheur en Droit pénal  Et Procédure pénale. Un désaccord qui est loin d’être résolu, malgré les points obscurs sur certains détails mais le droit de regard de l’ULCC s’étend sur tous les fonctionnaires de l’administration publique quel que soit leur rang dans la chaine administrative et judiciaire.

Face à la montée en puissance de la corruption au sein de l’administration publique,  sous la houlette des États-Unis, les puissances occidentales auraient pressé les autorités haïtiennes à harmoniser leur législation à l’engagement international pris en matière de lutte contre la corruption. Ainsi, le décret du 8 septembre 2004 a été institué dans le but de créer la transparence dans la vie publique haïtienne. Cela étant, la mission cardinale de ce décret vise l’épuration de l’administration publique pour barrer le passage à la propagation de la corruption. Après plus d’une décennie, la création de cette importante institution va tourmenter la République à la survenue d’un incident sur la frontière dominicano-haïtienne concernant une diplomate haïtienne, Madame Judith XAVIER.

Dans un précédent texte relatif à cette affaire (G.  BLAISE, Le déchirement interministériel: l’excès de zèle de GASSANT ou la fausse bataille du pouvoir contre la corruption, Le miroir info, journal en ligne du Canada, 23 déc. 2019. ), l’auteur a déjà démontré la corrélation interministérielle entre l’ULCC et le ministère des affaires étrangères( MAE). Pour l’heure, il convient de s’interroger sur le rôle de l’ULCC dans la cohésion gouvernementale. C’est dire si à ce jour celle-ci établit le désordre dans la gouvernance publique eu égard au contenu de son texte créateur, et s’il semble urgent de l’amender afin de limiter des dégâts imparables. Pour ce faire, il importe de démontrer la sphère de compétence du Directeur Général de l’ULCC ( I) avant de déterminer l’origine de conflit que le texte génère ( II).

I- Les interventions de l’ULCC dans une compétence restreinte 

D’emblée, il s’avère importantissime de rappeler que le destinataire de l’application du décret du 8 septembre 2004 n’est que l’administration publique en vertu des articles 12 et 22 de ce décret. En effet, il est précisé que l’ULCC ne peut faire que des recommandations au secteur privé dans le but de prévenir la survenue des actes de corruption (alinéa 3 de l’article 7). En revanche, ce pouvoir ne s’étend pas à la répression à l’encontre du secteur privé. À cet effet, le pouvoir de perquisitions conféré à l’ULCC à l’article 12 ne s’étend pas dans le domaine privé; en cas de nécessité, il doit indubitablement requérir l’autorité judiciaire.

En outre, si l’article 4 du décret ouvre la compétence à l’ULCC en matière de contrats portant sur les grandes infrastructures étatiques, la combinaison des articles 12 et 22 confine ses interventions au sein de l’Administration publique ou services/entreprises publics dans le cadre des recherches des preuves.

De ce fait, tout acte répressif posé par l’ULCC doit être en corrélation avec l’administration publique avec comme cible tout agent public, dont les fonctionnaires. Ainsi, toute  personne n’ayant pas de statut d’agent public échappe à sa sphère de compétence, et pour toute audition et tout acte répressif visant une personne privée l’institution doit requérir l’intervention de l’autorité judiciaire ou du parquet selon le cas. Comme c’est le cas dans le cadre de la commission rogatoire donnée par le juge d’instruction Merlan Belabre à l’ULCC dans l’affaire Sogener. Sans anticiper l’enquête, aucun acte de l’ULCC ne peut viser une société privée, et toute nécessité de recherches liées à son enquête concernant des personnes n’ayant pas de statut de fonctionnaire ou d’agent public  relève d’un autre bras institutionnel, qui doit être décidé par le du juge  judiciaire, véritable chérif exclusif de son dossier.

II- Le Directeur Général de l’ULCC et l’ULCC : deux chérifs dans une même mission conflictuelle d’État

En effet, l’audition de Monsieur Kerby ALCANTE le 30 décembre 2019 dans les locaux de l’ULCC a conduit à l’arrestation de ce dernier et son défèrement au Parquet de Port-au-Prince le jour même. Il serait déféré au parquet suite à la découverte de l’infraction de faux et usage de faux par les enquêteurs de l’ULCC. À vrai dire, l’infraction de faux réprimée aux articles 107 et suivants du code pénal ne relève pas de la compétence de l’ULCC. Ainsi, l’audition de Monsieur ALCANTE par l’ULCC aurait dû avoir pour mobile la corruption à la base d’un éventuel faux, et ce fait de faux pourrait être dénoncé au Parquet. Dans ce contexte, il n’y aurait pas d’empiètement de pouvoir de l’un sur l’autre, étant précisé que l’ULCC dispose de son entière indépendance lorsqu’elle n’agit pas sur délégation de pouvoir du Parquet.

Suite à une requête motivée de l’avocat du suspect (on n’est pas encore prévenu devant l’autorité de poursuite), un substitut du commissaire du gouvernement a procédé à la mise en liberté de ce dernier. Mise en liberté qui aurait soulevé la colère du DG de l’ULCC, qui aurait invité le substitut à son bureau pour l’auditionner dans le but de s’enquérir des informations sur cette mise en liberté. À son tour, le commissaire du gouvernement s’est adressé au ministre de la justice et de la sécurité publique pour autoriser le DG de l’ULCC dans le but de l’auditionner pour des faits de forfaiture et autres.

Au vrai, le DG ne l’ULCC ne dispose pas de pouvoir pour discuter de l’appréciation faite par le Parquet dans l’exercice de son opportunité de poursuites, encore moins l’autorité judiciaire dans le cadre d’une affaire. En revanche, à la lumière de l’article 4 de la loi du 9 mai 2014 relative à la corruption, le législateur confère un énorme pouvoir au DG de l’ULCC pour envisager des mesures contraignantes, comme par exemple des perquisitions, à l’encontre de tout agent public ou tout fonctionnaire, dont les ministres ainsi que les diplomates , le premier ministre, voire le président de la République.

 Car l’artifice répressif de l’article 4 de la loi de 2014 permet le déclenchement de l’enquête relative à la corruption contre toute personne détentrice d’un mandat électif ou administratif ou nominatif, qui œuvre dans l’administration publique. Ces deux textes législatif et réglementaire sont sources de tourmente et de confusion dans l’architecture judiciaire haïtienne. Ainsi, les ministres, le premier ministre et le président de la République ne sont en principe tenues pour justiciables que devant la Haute Cour de Justice (art. 186 de la Constitution) pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions, tandis que le législateur de la loi 2014 ainsi que les rédacteurs du texte du 8 septembre 2004 offrent un large pouvoir d’enquête à l’encontre de ces derniers en matière de lutte contre la corruption. Cette instauration judiciaire constitue une grave entrave à l’effectivité de la justice, et contrevient au principe de la hiérarchie des normes.

Donc, à l’état actuel du droit, si le commissaire  du gouvernement s’est trompé de destinataire dans sa demande d’autorisation pour auditionner le DG GASSANT en raison des articles 1er et 5 du décret 2004 faisant implicitement et de façon discutable du ministre de l’économie l’autorité de tutelle du DG de l’ULCC. Par ailleurs, le DG GASSANT pourrait enquêter sur le Commisssaire du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions en cas de soupçon de corruption suite à la décision de libérer Monsieur ALCANTE.

Toutefois, l’enquête initiée par l’ULCC ne doit avoir aucune appréciation sur le pouvoir discrétionnaire du commissaire du gouvernement sur la mise en liberté du suspect.

L’impossibilité d’auditionner le DG de l’ULCC trouve son prolongement à l’article 90 du code pénal. Car bien que la notion de grand fonctionnaire ne soit clairement établie par le législateur, à défaut de s’adresser au ministre de l’économie et des finances, il serait compréhensif que le commissaire du gouvernement solliciterait du président de la République l’autorisation pour auditionner le DG de l’ULCC, s’il envisageait de poursuivre ce dernier, conformément aux dispositions de l’article 90 du code pénal.

Il est regrettable que la 50ème législature n’ait pas penché sur cet imbroglio juridique, puisque les articles 11 et 12 du décret 2004 créant  l’ULCC sont contradictoires. Car, si le premier fait du Parquet et de l’ULC deux bras institutionnels complémentaires, le deuxième (dern.al.) confère un pouvoir étendu  à l’ULCC sur le Parquet.

Pour mémoire, l’Unité de lutte contre la corruption constitue un officier de police judiciaire ( OPJ) à deux casquettes. D’une part, le dernier alinéa de l’article 12 dudit décret confère aux agents de l’ULCC, par ricochet au Directeur Général, un pouvoir d’OPJ indépendant. En l’espèce, il est énoncé à cette disposition que « Pour les besoins de leur travail ils sont autorisés à utiliser toutes les techniques modernes et tout procédé qu’ils estiment utiles à la constatation d’une infraction ». Il est évident que les rédacteurs offrent un pouvoir étendu, dont ne dispose même pas un juge d’instruction dans le cadre de l’ouverture d’une information judiciaire. Par exemple, un document retrouvé par le juge d’instruction sur la base des données électroniques ne peut pas être tenu pour preuve devant le tribunal en raison de l’illégitimité de la preuve électronique dans le procès pénal haïtien, tandis que ce mode de preuve ne devrait pas être écarté si elle était apportée par l’ULCC.

D’autre part, la combinaison de l’article 5 de l’article 7 et du dernier alinéa 7 du décret fait de l’ULCC, tout au moins de son DG, le bras institutionnel des autorités judiciaires. Ainsi, la tendance procédurale est inversée, et les agents de l’institution ont le statut d’OPJ placé sous la dépendance du juge judiciaire, voire le parquet (l’affaire Sogener op., cit. ). Si une commission rogatoire (délégation de pouvoir) peut restreindre les interventions des agents de l’ULCC, cette dépendance judiciaire ne limite pas son pouvoir étendu lorsque l’enquête se réalise  à son initiative personnelle.

Par ailleurs, il est reproché à l’ancien commissaire GASSANT de n’avoir pas respecté le principe de la confidentialité dans le cadre de cette affaire diplomatico-corruption.

Cependant, la source de conflit se réside dans le décret du 8 septembre 2004, en ce sens que celui-ci institue le principe de confidentialité à l’article 19 dans le cadre de l’enquête et offre en même temps la possibilité au DG d’y déroger à l’article 9). Il est donc illogique que seuls les directeurs soient soumis au secret professionnel, mais pas le DG ( art.10).

Tant que les décideurs publics ne soient conscients de ces  textes lacunaires, notre République ne sera épargnée des secousses judiciaires barrant la route à l’avènement de l’État  de droit. En attendant, le décret 2004 et la loi 2014 mettent la République, sauf les simples particuliers et les entreprises privées, dans la paume de la main de l’ULCC et du Directeur Général de celle-ci.

Espérons que la 51e législature verrait la nécessité « nécessaire » de les amender . Dans l’attente d’un législateur inspiré, le DG GASSANT, le commissaire LAFONTANT et le ministre des affaires étrangères sont condamnés à chausser de la même pointure gouvernementale pour pérenniser la fidélité du président de la République à l’article 136 de la Constitution concernant la bonne marche de toutes les institutions étatiques.

              Auteur :  Me. Guerby BLAISE

 Enseignant-chercheur en Droit pénal  Et Procédure pénale

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