Le Système judiciaire haïtien, comme tous les autres d’ailleurs, est desservi par des agents de différents ordres dont les Magistrats constituent les principaux acteurs, avec des missions spécifiques clairement définies par la Loi.
Hinche, https://www.lemiroirinfo.ca, Dimanche 19 Juillet 2020
Perçue comme un service public, la Justice reste pourtant le Pouvoir le plus fort et le plus stable par rapport aux deux autres grands pouvoirs de l’État, (exécutif et législatif), toujours en proie à de plus fréquents renouvellements.
Pourtant, il est à faire remarquer que dans toute la panoplie de nos 22 à 25 Constitutions, il n’est pas une qui attache une importance trop visible au Pouvoir Judiciaire.
La littérature formant cet axe de la Constitution est toujours fade et indigeste. Et l’on sent vraiment que d’une Constitution à une autre, rien de plus consistant n’a été envisagé en faveur de la Justice.
Toujours les mêmes vocabulaires, et on pourrait dire les mêmes articles. On préfère accorder la primauté à l’Exécutif et au Législatif qui constituent les vaches les plus laitières de ce document.
En effet, on se prononce surtout sur les fonctions de juge, greffier, huissier et autres. Mais la fonction de Commissaire du gouvernement a toujours généré des controverses qui ne doivent point pourtant laisser indifférent.
Mais d’où vient le vocable Commissaire du Gouvernement dans notre Système judiciaire ? On le retrouve depuis la Constitution de 1801, Article 46 «Les juges de ces divers tribunaux (1ère instance et appel) conservent leurs fonctions toute leur vie, à moins qu’ils ne soient condamnés pour forfaiture. Les commissaires du gouvernement peuvent être révoqués ».
Dans les Constitutions du 27 décembre 1806 et du 2 juin 1816, on le dénomme Commissaire du Pouvoir Exécutif. (Constitution 1806, article 139: « Il y aura dans chaque tribunal un commissaire du Pouvoir Exécutif, un substitut et un greffier. Les deux premiers sont nommés et destitués par le Président ».
Constitution 1816 : Article 172 «Les juges, les commissaires du pouvoir exécutif et leurs substituts près des tribunaux sont salariés par l’État ». Article 174 : « Les juges, les commissaires du pouvoir exécutif et leurs substituts ne peuvent être distraits de leurs fonctions par aucun service public, à moins d’un danger imminent ».
La Constitution royale du 28 mars 1811 du roi Henry Christophe, en son Article 35, 3ème alinéa, fait de lui le procureur : « Mandons et ordonnons à tous huissiers sur ce requis de mettre le dit jugement à exécution, à nos procureurs près les tribunaux d’y tenir la main; à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils en seront légalement requis ».
La Constitution du 30 décembre 1843, la seule qui porte sur l’élection des Juges au suffrage universel indirect, avec des mandats de 3 ans pour les juges de paix, et 9 ans pour tous les autres juges des tribunaux civils, d’appel, et de cassation, rejoignant ainsi en partie, l’esprit et la lettre de la Constitution de 1987.
Constitution de1843, article 148 : « Chaque commune a un tribunal de paix. Un tribunal de première instance est institué pour un ou plusieurs arrondissements. La loi détermine son ressort et le lieu où il est établi. Il y a un tribunal d’appel pour chaque arrondissement. Son siège est au chef-lieu ».
Article 149 : « Les juges sont élus, savoir : Pour les tribunaux de paix, par les assemblées primaires ;
Pour les tribunaux de première instance et d’appel, par les assemblées électorales de leur ressort respectif ;
Pour le tribunal de cassation, par le Sénat, sur la présentation d’une liste simple de candidats par chacune des assemblées électorales du ressort des tribunaux d’appel ».
Article 150 : « Les juges de paix sont élus pour 3 ans, ceux des autres tribunaux pour neuf ans. Ils sont indéfiniment rééligibles. Aucun juge pendant la durée de ses fonctions ne peut être destitué ni suspendu que par un jugement ».
Mais l’article 153 stipule : « Le Président de la République nomme et révoque les officiers du ministère public près les tribunaux de première instance, d’appel et de cassation ». Et depuis, dans toutes les autres Constitutions jusqu’à celle de 1987, on le voit pour un Officier du Ministère Public, toujours nommé et révoqué par le Président de la République, comme le juge, pourtant à sa nomination inamovible.
Ce n’est qu’avec le fameux Décret du 22 août 1995, sous le prêtre président, le texte le plus consistant jusqu’alors pour l’Organisation du Système Judiciaire en Haïti, il faut bien l’avouer en toute décence, que le terme Commissaire du Gouvernement se retrouve dans son Article 3: « Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d’Appel, des Tribunaux de Première Instance, du Tribunal spécial de Travail, des Tribunaux pour enfants, des Tribunaux terriens, des Tribunaux de paix, les Commissaires du Gouvernement et leurs Substituts exercent le Pouvoir Judiciaire et forment le Corps Judiciaire ». La Loi de 2007, portant statut de la Magistrature, le mentionne nommément en ses articles 8, 9, et 10.
Et en son Article 12, elle précise : « Tout magistrat à vocation à être nommé à des postes de siège ou du parquet, « considérant ainsi le Commissaire du Gouvernement et son Substitut comme faisant partie de la Magistrature, le reconnaissant ainsi pour un magistrat debout ».
On sait déjà que dans tous les pays de droit civil, la Justice reste le bouleau exclusif des Magistrats qui rendent la Justice au nom de la Loi, qu’on considère comme des magistrats assis (les Juges), et ceux qui la requièrent au nom de la Loi, ce sont les magistrats debout (les procureurs et leurs Substituts).
On doit rappeler que les anglo-saxons ne priorisent que leurs Juges, bien que les Procureurs aient leur rôle de poursuivre les délinquants, comme dans les pays de droit romano-germanique ou de droit civil ou de droit continental.
Il est encore plus important de signaler que, de tous les pays du monde, il n’est qu’Haïti à prêter encore le titre de Commissaire du Gouvernement à un agent régulier et permanent qui s’occupe de la poursuite des délinquants. On le prend même pour le chef de la poursuite, considéré ainsi comme le principal agent de la Police Judiciaire, avec des tâches exécutives de toutes les décisions judiciaires. Ce fonctionnaire constitue l’agent le plus important de la chaîne pénale.
Donc, c’est vraiment à tort qu’on le surnomme encore Commissaire du Gouvernement, une fonction temporaire en France, qui relève surtout de la procédure administrative et dont la mission est surtout d’éclairer la lanterne des juges administratifs du Conseil d’État.
Il n’y a point de Commissaire du Gouvernement dans le judiciaire au pénal, et même dans le dictionnaire de droit privé, encore plus du criminel, dans aucun pays, excepté le nôtre, et malheureusement.
Dans le dictionnaire juridique de droit privé comme du criminel, on relève cinq types de commissaires:
1) le commissaire-priseur judiciaire, depuis la Loi du 10 juillet 2000 en France, qui est l’officier ministériel qui, étant titulaire d’une charge, remplit une tâche de service public.
2) le commissaire à l’exécution du plan, chargé de contrôler la marche de l’entreprise jusqu’à l’entière exécution du plan; il poursuit les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan, il rend compte au président du tribunal et au procureur de la République du défaut d’exécution du plan. Il en informe le comité d’entreprise ;
3) le commissaire aux apports, désigné à l’unanimité des fondateurs, des associés ou des actionnaires ou, à défaut, par une décision de justice à la demande d’un associé ou d’un gérant, pour vérifier la valeur d’un bien apporté en nature, la valeur d’un service ou celle d’un avantage ;
4) le commissaire aux comptes, une personne exerçant à titre libéral une profession réglementée dont le rôle est de contrôler la régularité des écritures comptables des sociétés et la véracité de leurs constatations au regard des documents qui les justifient.
5) le commissaire de Justice, appellation de la nouvelle profession résultant de la fusion future des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur, prévue par l’Ordonnance du 2 juin 2016. Cette fusion est prévue pour prendre date le 1er juillet 2022.
Le poste de Commissaire reste aussi pour la Police, le plus important, même le dernier grade. Dans son Commissariat, il peut être soit un commissaire municipal, soit principal, soit divisionnaire.
Le lexique juridique, au contraire, donne :
Procureur de la République: nom donné au magistrat qui dirige les services du Parquet d’un Tribunal de Grande Instance ;
Procureur Général: nom donné au Chef de Parquet d’une Cour d’Appel ou de Cassation;
En raison de la construction hiérarchique qui préside à l’organisation du Ministère Public, le Procureur de la République d’un Tribunal de Grande Instance est placé sous l’autorité du Procureur Général près la Cour d’Appel de la circonscription judiciaire à laquelle appartient le tribunal auquel il est affecté.
Cette collecte de données nous permet aisément de comprendre que ça n’a aucun sens pour un Magistrat du Parquet à être encore dénommé Commissaire du Gouvernement. Il n’exerce pas dans un Commissariat, mais dans son Parquet.
D’où maintenant la nécessité impérieuse de choisir la voie de la modernité pour rompre définitivement avec ce titre de Commissaire du Gouvernement pour que ces fonctionnaires soient reconnus comme des Procureurs (procureur de la République pour le TPI, procureur général pour les Cours).
A la vérité, les textes du Décret du 22 août 1995 et la Loi de 2007 sur le statut de la Magistrature ont déjà fait de cet agent un Magistrat debout, à part entière, avec tous les privilèges qui conviennent à un magistrat.
Mais certains imposteurs s’attachent plutôt à ne le percevoir que comme un simple agent de l’Exécutif, ne devant se prévaloir du moindre privilège de magistrat, et surtout n’ayant droit à aucune indemnité, ni une quelconque prime.
En fait, ils ont, en partie, raison. Le procureur, en général, représente l’Exécutif, mais absolument, il reste un Magistrat, pas un juge.
Mais, le représentant de l’Exécutif dans le Judiciaire qui soumet le Commissaire du Gouvernement à la hiérarchie immédiate du Ministre de la Justice ne fait nullement de lui un subordonné à vocation de recevoir des instructions, tête baissée. Car, non seulement, il y a le fameux adage : « la plume est serve, la parole est libre, » mais la Loi 2007 sur la Magistrature est claire en son Article 35 « Les Officiers du Ministère Public sont placés sous l’autorité du Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique ».Toutefois, ils ne sont jamais tenus de déférer à un ordre manifestement illégal. « À l’audience, la parole est libre ».
Et cet article s’inscrit dans le Titre IV Sous-Titre 1, Chapitre 1er, qui traite de l’indépendance des Magistrats, ce qui confère, ipso facto, une certaine indépendance au Commissaire du Gouvernement et son Substitut.
En outre, le représentant de l’Exécutif dans le Judiciaire qu’on lui connaît ne le fait point un soumis à rude épreuve. Cela rentre plutôt dans le cadre des implications même de la Justice comme l’une des fonctions régaliennes de l’État.
En ce sens que l’application de la Politique pénale du Gouvernement relève de la compétence du Ministre de la Justice qui se fait pourtant représenter par ces hommes de terrain, les procureurs, pour veiller à l’application de la Loi, et pourvoir à l’exécution de toutes les décisions judiciaires, selon toutes les exigences de la loi régissant la matière. Partie dans tous les procès, le Commissaire du Gouvernement en est la principale au pénal. Organe de la Loi, il se doit de tout tenter pour une maîtrise approfondie des lois en vigueur.
De toute son ardeur juvénile, il doit assurer la défense de la société par des réquisitoires très bien charpentés, et tout conformes à la loi, de manière à persuader les juges en siège et bien éclairer leur lanterne. De capacité d’expression orale et écrite très châtiée, il doit être à même de s’imposer par son élocution puissante et élégante.
Défenseur né de la société, des paysans, des interdits et des absents, il supervise en temps et lieux les notaires, les arpenteurs, et les Officiers d’État Civil de sa Juridiction dans leur mode de gestion, pour mieux s’assurer que les registres y relatifs sont à jour d’après les règlements les régissant.
Le fonctionnement des bordels, hôtels, restaurants, églises et généralement, tout ce qui touche à la société, constitue le bouleau immense de ce fonctionnaire pourtant si méconnu. Ainsi, on comprendra la pluri-dimensionnalité indiscutable de la fonction du Commissaire du Gouvernement, toujours considéré comme pour n’être qu’un simple agent de l’Exécutif.
Il l’est effectivement, de par son rôle de veiller à l’application de la Loi dans toute l’aire de sa juridiction, rôle dévolu à l’Exécutif qui a la charge de s’assurer de la normalité de la distribution de la Justice dans toute l’aire du pays par le truchement du Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique. Mais, il reste un magistrat à proprement parler, à travers ses réquisitoires aux fins d’éclairer la lanterne du Juge, et de mieux l’orienter dans sa si délicate mission de dire le mot du droit.
Et on oublie toujours de mettre cette emphase sur le dualisme ou le bicéphalisme de la fonction de Commissaire du Gouvernement, évoluant à la fois comme le représentant de l’Exécutif et comme magistrat qui, à l’audience, doit absolument s’imposer dans la défense des intérêts de la société, comme pour apporter sa chaude contribution à la fonction juridictionnelle même assignée au magistrat de siège qu’il est tenu d’épater avec sa force de persuasion, toujours au regard de la Loi.
Et voilà tout ce qui porte à voir que « de toute la machine judiciaire, la fonction de Commissaire du Gouvernement, pourtant si mésestimée, se veut la plus féconde, la plus exigeante, et la plus élégante ». Et de tout cela, il y a pourtant lieu de conclure que le Commissaire du Gouvernement (le procureur) reste un véritable touche-à-tout incontestable dans tout le Système Judiciaire.
Auteur : Me. Fritznel HECTOR, Commissaire du Gouvernement-Hinche