D’entrée de jeu, je suis tenté de faire référence au principe de base numéro 2 des Nations-Unies relatifs à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ce principe définit l’impartialité judiciaire comme le fait pour les juges de décider des affaires qui leur sont présentées « sur la base des faits et conformément à la loi sans restrictions aucunes, influences abusives, pot-de-vin, pressions, menaces ou ingérences directes ou indirectes de toute partie et pour toute raison ».

Cap-Haïtien, https://www.lemiroirinfo.ca, Dimanche 28 Juin 2020

Justement, l’indépendance  judiciaire est la capacité, la liberté dont dispose le juge d’assurer et de prononcer les droits de chaque individu et de chaque groupe dans un procès équitable.  Le juge ne doit subir aucune pression de la part d’aucun pouvoir, politique ou social ni se soumettre à aucune forme d’influence d’autres juges ou même de l’administration judiciaire.

Dans son travail le juge doit avoir pour boussole sa majesté la loi et sa conscience. L’indépendance du juge est indispensable à l’administration d’une justice équitable se basant uniquement sur la loi, les principes généraux, la coutume, la jurisprudence et les circonstances qui entourent et occasionnent les faits.

Il va de soi, que l’importance de la justice impose qu’il est du devoir de toutes les institutions, toutes les autorités nationales ou internationales de promouvoir, respecter, protéger et défendre l’indépendance des juges et de la justice.

Dans une vraie démocratie la loi doit créer les conditions et les institutions capables de protéger et d’assurer l’indépendance effective de la justice face aux autres pouvoirs de l’État. Aucune autorité n’a le droit de passer des ordres ou instructions de quelque nature que ce soit pour tenter d’influencer les décisions du juge.

De son côté, le juge doit s’efforcer d’afficher son impartialité dans ses jugements, ses prises de parole et même dans son comportement en public. Il doit faire preuve de dignité partout où il passe et envers toutes les personnes qu’il rencontre. Il doit remplir tous ses devoirs de juge avec diligence, désintéressement et en toute efficacité.

Il doit éviter toute activité qui peut prêter à équivoque ou qui est incompatible avec ses devoirs ou son statut de juge. La loi doit garantir la carrière de tous les magistrats indistinctement. Qu’il soit assis ou debout. Ce qui entraîne que les magistrats doivent être nommés à vie ou pour des périodes de 25 ans au moins de façon à ce qu’ils remplissent et exercer leur métier sans crainte d’être transférés, suspendus ou révoqués au bon vouloir d’une autorité quelconque. La révocation d’un magistrat doit être possible seulement dans des cas strictement prévus par la loi et les règlements.

La sélection, l’avancement ou la promotion d’un juge doit se faire selon des critères objectifs et transparents. Cela doit se subordonner à des qualifications professionnelles et conduit par des groupes indépendants constitués principalement de magistrats professionnels de carrière.

En vue de préserver leur indépendance, les magistrats, doivent jouir d’une certaine immunité contre les actions civiles et pénales pour des faits relevant de leurs fonctions.

Toute action administrative et disciplinaire à l’encontre d’un juge doit être gouvernée par des lois préexistantes et conduites par des corps indépendants constitués de magistrats de carrière principalement.

Tout en préservant chèrement son indépendance, le juge a le droit de s’associer dans l’unique but de faciliter les éventuelles consultations, de surveiller à l’application de leur statut et de défendre les intérêts légitimes  de la magistrature. Tout cela doit se faire avec éthique et dignité.

Le juge doit recevoir des émoluments et avantages qui lui permettent d’être économiquement indépendant. L’indépendance du pouvoir judiciaire passe aussi par l’octroi d’une tranche budgétaire conséquente et proportionnelle au besoin de toute sorte de la justice. Toujours dans l’optique de défendre les intérêts et l’indépendance de la justice, le pouvoir judiciaire doit être consulté et entendu dans la préparation du budget national.

A bien considérer, les exigences de l’indépendance judiciaire, nous pouvons dire qu’il reste beaucoup à faire avant d’aboutir à une vraie indépendance de la justice haïtienne. Pourtant, sans cet aboutissement, c’est toute la nation qui en pâtit.

En effet lorsque dans un pays la justice ne jouit pas, ne fut ce qu’une perception d’indépendance, la plus part des commissaires de gouvernement, certains  juges dont des juges d’instruction en particulier vont être mis sous l’empire des autorités politiques irresponsables et mal intentionnées. Par peur ou par excès de zèle ils vont faire de l’harcèlement judiciaire en commettant des abus de droit ou de justice ou en faisant arrêter injustement des citoyens, en les jetant en prison sans aucune raison légale et pour un temps indéfini. D’un autre côté ces magistrats sous emprises vont aussi pratiquer l’impunité en laissant circuler sans aucune inquiétude des criminels notoires. Ou bien en laissant moisir dans les tiroirs certains dossiers mettant en cause certaines catégories de personnes.

Lorsque dans un pays la justice ne jouit pas, ne fut ce qu’une perception d’indépendance, la croissance économique est paralysée. Certains investisseurs, entrepreneurs ou commerçants sont réticents à investir. Car ils pensent que les litiges commerciaux ne vont pas être résolus de façon prévisible et transparente.

Lorsque dans un pays la justice ne jouit pas, ne fut ce qu’une perception d’indépendance, certains citoyens des classes privilégiées et certains potentats des pouvoirs exécutif et législatif agissent en toute impunité. La corruption n’est pas réprimée.

Il est donc du devoir de tous les professionnels du droit, les hommes et les femmes de loi, avocats et magistrats de défendre avec acharnement l’indépendance de la justice. Car, il y va de l’avenir du pays, comme dit l’autre « la justice élève une nation ». Disons mieux seule une justice forte et indépendante  peut garantir la force des institutions, le progrès de la nation et le respect de la loi par tout un chacun.

Terminons en disant que l’indépendance de la justice haïtienne ne peut pas être le fruit du hasard. Elle dépend avant tout de la volonté et de la force de caractère de chaque juge de s’élever à la hauteur et à la dignité de cette mission sacro-sainte qui est celle de juger. Et cela malgré les conditions de travail  exécrables, la mauvaise fois et les folies des autorités des deux autres pouvoirs. Ainsi que les sollicitations, les intimidations et les tentations qui peuvent venir de toute part.

Auteur : Me Joël CESAR, avocat