« On est à surnager dans un véritable leurre pour un État de Droit, autant de fois qu’il se constate et s’alimente une improductivité plausible de la Justice dans cet État ».

Hinche, htpps://www.lemiroirinfo.ca, Lundi 03 Aout 2020

Il est universellement admis que la Justice, dans sa mission sacro-sainte de réguler la société, ne doit s’évertuer qu’à l’élever et la policer pour la maintenir en très parfait équilibre. Mais cela nécessite vraiment une justice capable de remplir valablement cette mission.

La polysémie et le sens collectif même  de la notion de  justice doivent être perçus comme des repères intouchables sans lesquels, la Justice devient aussitôt inopérante, superficielle, impuissante, conduisant irréversiblement à l’anarchie pure et simple.

 C’est vrai, chaque fois que la Justice capitule devant un fait qui, à l’œil nu, s’attaque à la survie même de la société outragée, ça marque aussitôt un pas de plus vers une descente aux enfers de la société. Il appartient donc de se faire l’idéal le plus sublime pour que la Justice puisse toujours combler les attentes, quelqu’un puisse être le prix, et peu importe le moment.

La Justice ne peut pas se laisser proscrire, ni même donner l’impression qu’elle est impuissante. L’homme est créé pour être réprimé autant de fois que les circonstances le réclament. On ne doit pas toujours lui laisser le champ libre. Il est soumis à tout un ensemble de principes qui le guident dans sa vie pour la confiance qui doit  s’injecter dans toutes les artères de son bouleau.

 Naturellement, il est en lutte perpétuelle pour pouvoir bien se conformer aux normes établies. Et c’est pourquoi, non seulement il doit être soumis sux injonctions de la morale qui, non contraignante, lui dicte constamment la voie la meilleure à suivre, mais encore, les exigences des règles de droit tout assorties plutôt de sanctions appropriées suivant l’échelle des infractions, lui sont imposées. Et voilà qui peut mettre la société en confiance, et dans la pleine sérénité pour produire quotidiennement, et s’acheminer vers le développement durable.

Des contestations s’élèvent à longueur de journée, créant ainsi le trouble au bon fonctionnement du tissu social. Ces dérives, corollaire de diverses violations des normes établies par l’État pour le bien-être même de la société, doivent être  sévèrement corrigées, rien que pour s’assurer que la brèche créée dans la société a été aussitôt colmatée. Mais autant elles persistent, ces violations sans être prises en compte pour prompt endiguement, les fissures constantes et répétées ne peuvent conduire qu’à la débandade et l’érosion systématique de l’autorité de l’État. Et c’est la désinvolture et la confusion dans la chronicité outrancière, source d’instabilité et de méfiance très nuisibles à l’évolution même de la société.

La Justice, cette dette irréfragable de l’Etat envers ses ressortissants, mérite d’être considérée à ses vraies dimensions. Elle s’impose comme un engin à de multiples parties. Tout comme l’automobile se compose de pièces multiples pour son fonctionnement optimal, les procès s’exercent avec des éléments incontournables dont on n’a jamais pu se passer.

Pour un procès quelconque, il faut absolument la présence de quatre éléments majeurs, avec des fonctions spécifiques clairement définies par la Loi, sans l’un desquels, aucun procès ne peut se tenir. Citons : le magistrat debout ou le ministère public, le magistrat assis ou le juge, le greffier, l’huissier.

C’est même fort irresponsable de penser à la distribution de la Justice sans considérer chacun de ces éléments à sa juste valeur. Et c’est bien ce caractère quadridimensionnel dont revêt toute audience judiciaire.

a) le magistrat debout ou le ministère public.-

Avant de commencer par présenter l’importance du ministère public, dans le système judiciaire, je m’en voudrais de ne pas attirer l’attention sur le fait que, partout dans le monde, que ce soit dans les pays du « common law » ou de « droit civil » ou  « continental, » quiconque est appelé à exercer la fonction de ministère public dans le judiciaire, se reconnaît pour un procureur, en français, prosecutor, en anglais, et procurador, en  espagnol.

En France dont, comme tous les pays africains francophones d’ailleurs, nous héritons les plus grandes similitudes du droit romano-germanique, le commissaire du gouvernement relève du Code de Justice Administrative qui fait de lui un fonctionnaire chargé d’une mission  temporaire et spécifique auprès d’une instance administrative, et pas dans le Judiciaire.

 C’est pour dire que le vocable  commissaire du gouvernement que l’on colle encore au fonctionnaire chargé de la poursuite pénale en Haïti se conserve plutôt de la manière la plus impropre.

De plus, les procureurs, procureurs adjoints et Substituts des 181TGI,  TPI, chez nous, les procureurs généraux, les avocats généraux des 35 Cours d’Appel en France se savent relever hiérarchiquement du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, tout comme du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Ils sont pourtant  reconnus pour des Magistrats à part entière, avec des privilèges tout identiques à ceux des Juges, sans aucune lueur de discrimination.

Les syndicats et associations, comme le Syndicat de la Magistrature (SM), créé depuis juin 1968, l’Union Syndicale de la Magistrature (USM), et autres, ne cessent  d’agiter des débats houleux tant sur le fonctionnement que sur  le devenir de la Justice.

Aux États-Unis d’Amérique, pays typique du Common Law, dans les différents États, les Juges et les Procureurs (Prosecutors) sont élus ou nommés suivant les États.

Pour nous, en Haïti, peu importe ce débat de commissaire du gouvernement ou procureur, les lois haïtiennes en pleine vigueur ont déjà fait du commissaire du gouvernement et son substitut des magistrats debout appelés à jouir pleinement des mêmes traitements et privilèges que les Juges,  Magistrats assis ou de siège. L’incident est clos. Plus de commentaire jusqu’à nouvel ordre.

Cette affaire de commissaire du gouvernement ou procureur, c’est un autre débat ultérieur à cerner au moment opportun.

Mais pour le présent moment, les lois du pays, encore de pleine application, confèrent aux officiers du Ministère Public le rang de magistrats et  n’enlèvent la moindre particule aux traitements et privilèges réservés aux  fonctionnaires reconnus pour des magistrats debout et assis.

Et rappelons que le commissaire du gouvernement n’est pas un juge, mais un magistrat reconnu légalement pour un magistrat debout. Tout comme le Juge n’est pas un commissaire du gouvernement, mais un magistrat classé dans la catégorie des magistrats de siège ou magistrats assis.

Ainsi, au regard des lois qui nous gouvernent, et le Juge, et le Commissaire du Gouvernement sont deux magistrats de l’Ordre Judiciaire, soumis aux mêmes traitements et privilèges ce, jusqu’à une éventuelle abrogation des lois qui régissent le statut de la Magistrature en Haïti.

Si dans le procès civil, le magistrat debout est là pour débattre sur les différentes exceptions soulevées par les parties, en vue de mieux éclairer la lanterne du Juge, pour n’y être que partie jointe, et rarement partie principale, on ne peut nullement parler de procès pénal sans le magistrat debout. Il est reconnu comme la partie principale dans tout procès pénal. Même quand la victime peut, par citation directe, introduire l’action pénale, le magistrat debout ou le ministère public reste la partie principale au procès pénal. Il représente la société et se dit ainsi agir pour la vindicte publique. En ce sens que, sans cette fonction de poursuite préalablement assurée par le Commissaire du Gouvernement ou son Substitut, il ne peut point y avoir de procès pénal. Et le juge, même tout drapé dans sa toge aussi bien replissée qu’elle puisse être, ne doit rester qu’inopérant pour un procès pénal parce que c’est le Commissaire du Gouvernement qui est tenu d’initier tout procès pénal. Sans cette initiation, le Juge lui, il n’a rien à faire. Pourquoi ? Parce que tout procès commence absolument par la plainte de la victime.

Dans le procès civil, c’est la victime qui initie l’action. Mais au pénal, l’action est nécessairement initiée par le Commissaire du Gouvernement,  reconnu pour le représentant de la société. Hormis la faculté laissée à des victimes de délit ouvert d’initier leur action par la voie de la citation directe, seul le Commissaire du Gouvernement ou son Substitut, unanimement reconnu pour le représentant de la société, se doit d’assurer la fonction de poursuite dans tout procès pénal. Et voilà pourquoi, dans le procès pénal, même quand la victime entreprend son action contre son adversaire par sa citation directe admise exclusivement au correctionnel, le ministère public est la partie principale. Peut-on oser se passer de pareil outil dans le procès pénal ? A se rappeler que le procès pénal s’ouvre absolument avec le Ministère public, suit toute sa trajectoire avec lui, et se termine avec lui, jusqu’à son exécution.

b) le magistrat assis ou le Juge.-

Le Commissaire du Gouvernement ou son Substitut conduit le prévenu ou l’accusé par devant le Juge pour le voir se prononcer, au regard de la loi, sur le dossier soumis à son appréciation souveraine. Tant que personne ne soit conduit devant ce Juge, il n’a vraiment rien à faire. Il ne peut aucunement se créer du bouleau pour se saisir lui-même. Tant qu’il n’y a point de victime à venir se plaindre, il reste inactif. La porte doit absolument lui être ouverte par une victime l’invitant par citation directe ou officiellement par le commissaire du gouvernement, chef de poursuite au pénal. Au civil, la victime est le maître de son action qu’elle intente elle-même personnellement ou par le truchement de son avocat. Le Juge, qui ne peut jamais s’autosaisir, ne doit absolument qu’attendre  la plainte de la victime pour commencer son bouleau.

c) le greffier.-

Le Juge ne peut nullement opérer sans l’aide incontournable de son greffier. En ce sens que le greffier est au juge ce que les mains, les  pieds et les yeux  sont à l’individu. Le Greffier doit consigner et conserver judicieusement par écrit toutes les observations que le Juge lui dicte soigneusement.

d) l’huissier.-

Cependant, en toutes matières, tant pour le pénal que pour le civil, l’huissier s’impose. Toutes les parties ne peuvent initier leurs actions que par la signification de ses exploits reconnus pour des assignations ou des sommations qu’il doit signifier en toute vigilance, avant et après l’audience. A l’audience,  il est celui qui doit appeler les parties à venir, avec toutes les exigences de la Loi,  reste à la disposition de toutes les parties, quand besoin est, et s’occupe, avec le Juge en siège, de la police de l’audience. Et l’huissier doit être actif tant avant, pendant qu’après l’audience. Autant dire, sans l’huissier, il n’y a vraiment rien qui puisse s’apparenter à un quelconque procès.

Cette vue panoramique de la tenue d’un procès nous conduit à de pertinentes observations. La perception des dirigeants du pays  donne l’impression qu’on serait même à concocter le plan le plus macabre d’éliminer la Justice dans le pays. Parce qu’on essaie de tout tenter pour détruire la viabilité de cette chaîne judiciaire essentielle à la tenue d’une quelconque audience.

Et tant que l’on n’arrivera pas à rendre optimale fonctionnelle cette chaîne de quatre maillons indispensables, en accordant de gré tout ce que la Loi leur réserve, à chacun, selon la grille tenue à ces fins, on sera plutôt condamné à la pire illusion d’une Justice de qualité dans le pays. Une Justice juste ne pourra jamais éclore dans ces multiples insatisfactions justifiées et les frustrations de tous genres qui ponctuent la Justice haïtienne, de nos jours.

 On ne sait que penser de ces ténors qui comprennent que la distribution de la Justice ne peut se faire exclusivement que par des Juges. C’est vraiment à tort d’y penser. Et c’est pas possible que des citoyens de si haute culture en arrivent à ce stade d’ostracisme qui leur donne de penser que la Justice du pays ne peut être distribuée que par des magistrats assis ou les Juges, en ce sens que seuls les Juges méritent un traitement digne de leur rang. Peut-être me serais-je moi-même fourvoyé sur ce qu’est vraiment la dispensation de la Justice dans une communauté.

 En tout cas, les faits parlent d’eux-mêmes.  Les Juges se sont jetés en grève pour des revendications. On ne leur a pas demandé de trop attendre. Les démarches ont été aussitôt menées auprès du Ministère des Finances, et en un rien de temps, satisfaction pleine et entière leur est donnée. Satisfaits, un terme est aussitôt mis à leur arrêt de travail. C’est bien. Ils sont bel et bien disposés à reprendre leurs activités.

 Pourtant, les magistrats debout élèvent la voix contre les disparités, les discriminations outrancières, et les frustrations de tous poils dont ils sont à souffrir depuis plus des ans, on essaie de leur trouver des mots d’apaisement, les priant de patienter parce que l’occasion n’est pas du tout propice pour des suites heureuses à leurs revendications. Alors qu’ils ont déjà été les plus malmenés du Système, on veut les inviter à la compréhension comme s’ils peuvent encore attendre.

Des greffiers et huissiers, sur leur soif, depuis 2017, attendent encore ce qui leur a été formellement promis. Ils sont obligés de se déclarer hors d’état de service, et ce, sans limite.

Et devant toute cette paralysie récurrente et en série, de multiples détenus croupissent en geôle, soupirant après leur comparution par devant leurs Juges qui ne pourront jamais les entendre sans les greffiers et les huissiers.

 C’est comme pour dire péremptoirement que seuls les agents de Justice relevant du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) sont bien lotis dans ce pays. Le Ministère de la Justice, avec toute sa galerie de cadres valables, et surtout son importante mission de pourvoir à l’application de la politique pénale du Gouvernement, semblerait bien se dérober à ses obligations envers ceux qui relèvent de sa férule ?

 Le Ministère devra toutefois se rappeler qu’il ne peut point se laisser subjuguer si visiblement par le CSPJ, qui s’affirme toujours dans la défense des intérêts majeurs de ses employés pour leur offrir plus moins le traitement digne de leur rang. Ce n’est pas vraiment parfait suivant toutes les multiples contraintes.  Mais on sent bien chez le CSPJ cette velléité manifeste de doter les magistrats d’un traitement à l’aune de leur statut. Ça nous  transporte aussitôt sur le terrain si fertile de la Sainte Bible qui confirme vivement que « quiconque demande reçoit. »

Le père qui rêve du bien-être et de la survie réelle et fonctionnelle de ses enfants demande en leur faveur avec un  acharnement et une importunité sans égale.   Et il reçoit, plus d’une fois.

Quand le CSPJ réclame pour ses Magistrats, on le comprend bien, et on  donne toujours suite favorable. Mais au contraire, l’attitude du Ministère envers les siens laisse plutôt à  désirer. Peut-être en serait-on à se demander s’il se rappelle qu’il est tenu d’éviter tout déséquilibre et toute disproportionnalité dans la Magistrature que la Loi condamne à évoluer dans un bicéphalisme obligé. En ce sens qu’il est tenu de tout tenter pour bien en gérer l’équilibre de la manière la plus rationnelle.

Alors que le CSPJ traite ses Magistrats avec leur statut, un magistrat relevant du Ministère, et doublé de représentant de l’Exécutif dans le Judiciaire, peine grandement à s’identifier pour tel. Donc, en cela, y aurait-il pire aberration ?

Pour une Magistrature solide, productive, exempte de la moindre trace de discrimination et de frustration, propre à combler les attentes de l’heure, et reflétant ainsi les idéaux que l’on reconnaît à tout État de droit, les disparités de traitement au sein de la Magistrature doivent être promptement dissipées et déclarées définitivement révolues, avec certes, l’impérieuse obligation de se montrer plus vigilant dans l’intégration directe des Magistrats debout qui laisse, plus d’une fois, à désirer.

 La situation de la Justice est tellement décevante au point que tout le monde en est amené à conclure que, plutôt que de ne pas travailler sous le leadership du CSPJ, on préfère s’esquiver de tout emploi dans ce système judiciaire.

Et devant cette image vive traduisant l’impression d’une pure  concurrence, où va donc la Justice de chez nous ? Il faut une prompte issue heureuse à ce déséquilibre judiciaire qui vient exposer tout le monde aux caprices d’une Justice inconsistante et désordonnée qui ne pourra jamais donner de résultat, sinon pour corollaire, la débandade et le chaos persistant dans notre société qui définitivement, ne pourra  décider à jouer au vilain plaisir que d’emprunter la voie de la justice personnelle. Et ce serait vraiment  dommage en ce plein 21ème siècle !

Auteur : Me. Fritznel HECTOR, CG-CA-Hinche