« L’éligibilité à un visa: une éventuelle solution sur le plan individuel. Un blocage à la formation de la masse critique pour la grande révolte en faveur du pays ».

Personne ne peut ravir à quelqu’un son droit de solliciter un visa pour voyager vers le pays de son choix. Les raisons de vouloir voyager vers un pays étranger sont multiples. Citons à titre d’exemple: voyager pour étudier, pour travailler,  pour visiter, pour raison de santé, pour la sécurité, etc.

En effet, ce mouvement de va-et-vient, universellement reconnu, ne date pas d’aujourd’hui. Cette démarche s’inscrit depuis toujours dans la conquête d’un bien-être qu’on espère retrouver ailleurs. Cependant, le chaos dans lequel Haïti s’enlise nous signifie un réquisitoire qui nous enlève le sommeil. Au fait, ce singulier réquisitoire à nous signifier nous a ordonné à se prononcer sur un cas sui-generis. Laquelle ordonnance nous oblige de réfléchir sereinement autour d’un moyen le plus rapide et apparemment le plus sûr pour sortir quelques compatriotes dans l’embarras. Mais cette voie si convoitée se révèle catastrophique pour le pays.

Incroyablement, nous assistons depuis plusieurs décennies à la décente aux enfers de notre chère Haïti. L’espoir nous a été évincé. La solution qui nous est proposée pour s’en échapper est de partir loin de ce coin maudit. Et tous ceux qui s’y adhérent semblent faire le bon choix. Leur rêve se réalise dans la plupart des cas. Une solution individualiste et loin d’être collective. En revanche, le pays s’enfonce de plus en plus dans l‘abime.

Selon un rapport de la Banque Mondiale, entre 2010 et 2019, la diaspora haïtienne a transféré vers son patelin la rondelette somme de 19,75 milliards de dollars américain. Malgré ce boom de l’injection des milliards de billets verts dans l’économie nationale, Haïti éprouve encore toutes les peines du monde à transformer cette manne au bénéfice de ses fils. Le constat est lamentable. La majorité de ce fonds est orientée vers la consommation en lieu et place de l’investissement. Alors pourquoi donc ce choix?

En réalité, la population ne fait pas le choix délibérément de ne pas investir dans la production de biens et de services. Mais de préférence, un désengagement sournois, graduel et permanent de la chose publique s’est installé en nous. En effet, la route menant au progrès d’Haïti étant tellement rude, rocailleuse et épineuse, la fuite reste l’option la moins risquée. Au lieu de s’engager dans une lutte acharnée, périlleuse, apparemment sans fin, le citoyen haïtien semble opter pour l’obtention d’un visa comme unique solution à son dilemme de peuple.

Avant l’indépendance, le marronnage était donc un moyen pour s’échapper de l’atrocité inhumaine, dégradante des colons français. Néanmoins, cette méthode individuelle se révélait trop aléatoire du fait que la probabilité pour ce faire mutiler, décapiter et capturer à nouveau était largement supérieur au taux de réussite. Alors les esclaves se sont donc résolus de se joindre aux anciens libres, frustrés eux aussi, afin de briser la chaine de l’esclavage et de la dépendance. A l’heure actuelle, la conjoncture n’est plus la même. Aucune sanction pénale n’est prévue contre quelqu’un qui décide de quitter Haïti pour un mieux-être. Au contraire, cette action, jugée prestigieuse par plus d’un, bénédiction du Bondieu par les familles bénéficiaires, est récompensée publiquement par le gouvernement haïtien et subtilement par l’impérialisme américain notamment (voir la décision pour accorder le TPS et les visas H-2A et H-2B).

Paradoxalement, le visa accordé à nos compatriotes est indubitablement un frein au grand ralliement dont le pays a besoin. Le fait que voyager est l’option de salut qui s’offre à tous, personne ne veut se livrer à la cause commune, le combat de l’intérêt général. Au lieu de se consacrer à une bataille commune, corps et âme, chacun rêve de préférence de se retirer individuellement. Ce qui n’était pas le cas avant l’indépendance haïtienne. A présent, presque tous les soi-disant leaders haïtiens ont leur famille jalousement gardée en lieu sûr à l’étranger. Cependant, ils tempêtent en Haïti. Détenteurs de passeport diplomatique et de compte en banques étrangères, propriétaires de maisons en terre étrangère, en même temps, ils vocifèrent honteusement au nom de la révolution.

La masse critique, l’énergie dont le peuple a tant besoin pour engager la grande bataille pour libérer Haïti du joug de l’insécurité, du kidnapping tant physique, politique et économique ne sera pas accumulée avec cette opportunité discriminatoire qui est le visa, ce, quelque soit la catégorie de visa considéré (visa visiteur, visa immigrant, etc).

Du reste, cela aurait été une aubaine si voyager était une action planifiée par les élites haïtiennes comme faisaient les juifs. Que faisaient donc les juifs? Ces derniers ont fui leur pays dans un but précis et pour une durée déterminée. Ils ont accumulé suffisamment de richesses et de savoir-faire, puis, ils sont revenus rebâtir leur pays. Contrairement à nous autres haïtiens qui sont contraints de partir avec la complicité du gouvernement haïtien, des élites économiques exclusivement dans le but de s’enfuir « an’n lage pye’n, an’n jete’n, peyi sa pap fè yon pa ». Pour changer Haïti, pour qu’un réveil de conscience collective ait lieu, chacun doit conjuguer ses forces et mettre un terme à la politique du marronnage comme unique solution du pays, sachant qu’il n’existe aucun Bondieu qui passera visiter Haïti.

Auteur : Me Thony Desauguste, av, Contact : dthonyfile@yahoo.fr