Victime des prédateurs sexuels

Les quatre considérations dans cette interview relative à l’affaire de Matneff. Ce dossier est un témoignage vivant qui démontre que si rien n’est fait, les prédateurs sexuels continuent à  profiter des faiblesses des textes de lois relatifs aux droits des mineurs-mineures. Une synthèse de Me BLAISE Guerby.

Montréal, https://www.lemiroirinfo.ca, Dimanche 04 janvier 2020

1) l’emprise, notamment celle émanée des prédateurs sexuels religieux et incestueux, vaut violence en matière de relations sexuelles entre partenaires inégalitaires (victime mineure)

2) on fait sauter la prescription

3) on voit clairement que la justice pénale doit s’adapter avec l’évolution sociétale

4) malgré tout, la détention n’est pas obligatoire

Publié le 4 janvier par Jean-Pierre Rosensczeveig  sur son blog republié par le même jour par lemiroirinfo.ca.

Questions-réponses sur l’affaire Matzneff

Il me semble nécessaire de reprendre par écrit les réponses  apportées ces jours-ci à de nombreux journalistes au sujet et autour de l’affaire Matzneff. Par-delà le cas de cet écrivain sulfureux soudain sorti de ‘oubli par l’une de ses victimes dans son livre Le consentement, c’est la question de la protection de l’enfance qui est revisitée et remise en perspective des débats sur l’égalité dans la relation entre partenaires, sur le fonctionnement des institutions, notamment la police et la justice.
Chacun se fera son point de vue à partir de ces argumentaires subjectifs

G. Maztneff peut-il être condamné pour viol quatre décennies plus tard?

Oui pour deux raisons.

D’abord les faits concernant Vanessa Spingora ne sont pas prescrits et l’enquête préliminaire peut amener à émettre d’autre en évidence – sur le plan policier et judicaire s’entend puisque G. Maztneff s’est vanté d’accumuler les conquêtes, pardon les amours.

La loi du 28 août 2018 a porté à 30 ans la prescription en matière de crime sexuel sur mineur. L’article 1212-2- 4° du CPP prévoit explicitement que les lois de prescription sont d’application immédiate donc, pour le cas d’espèce, permettent de remonter très loin étant rappelé qu’elle court du jour de la majorité de la victime.

2° Aujourd’hui les juges d’instruction et les cours d’assises sont plus enclins que par le passé à admettre que la violence exigée pour le crime de viol puisse ne pas être physique mais morales et  notamment résulter d’une emprise. En l’espèce l’emprise paralysant la volonté de la victime ne sera pas difficile à mettre en évidence puisque par-delà le témoignage de Vanessa le principal intéressé s’est targué de l’emprise qu’il avait sur ces jeunes du fait de son port altier et de sa prestance, mais encore de l’autorité intellectuelle que lui donnait son statut de « grand écrivain ». G. Matzneff de ce point de vue à faciliter le travail du procureur.

Bref ce rendez-vous judiciaire peut s’avérer plus délicat que les précédents.

Ajoutons – mais la prescription pourrait jouer plus facilement – qu’on pourrait lui faire reproche du comportement sexuel à l’étranger sur des enfants qu’i revendique.

Ira-t-on jusqu’à la l’incarcérer ?

Déjà la détention provisoire ne s’impose pas.

Une peine de prison est possible. Doit-elle et sera-t-elle ferme ? On peut en douter, mais rien ne l’interdit. En vérité l’essentiel n’est pas tellement la sanction que la condamnation quand l’intéressé lui-même continue en l’état à refuser d’admettre qu’il a pu faire du mal en abusant de son autorité morale.

C’est ici la différence par rapport à certains pédocriminels d’église qui admettent avoir pris conscience aujourd’hui du mal qu’ils avaient causé aux personnes qu’ils ont violentées. G. Matzneff demeure sur son crédo : « J’ai donné du plaisir à des jeunes qui le demandaient ; je suis la victime d’une cabale ».

Le discours du parfait pédophile que nous dénoncions déjà voici 40 ans !

L’important est que le parquet engage des poursuites – ce qui n’est pas encore le cas – et que la faute de G M. soit retenue. L’envoyer en prison n’aurait guère d’intérêt sauf à estimer que la prison le fera réfléchir … ce qui n’est pas évident.

Pourquoi une prescription trentenaire ?

Depuis 1998 – loi Guigou – on a fait en sorte que les auteurs ne puissent plus se retrancher derrière le temps pour ne pas répondre de leur actes. Pour rendre justice aux enfants victimes notamment de violences sexuelles on a fait partir la prescription de la majorité de la victime – et non plus des faits – pour lui laisser le temps devenue adulte de se retourner. On a aussi eu le souci de lui laisser plus de temps : 20 ans puis depuis 2018 30 ans après que la durée de l’ensemble des prescriptions ait été étendue en 2017.

On aurait pu aller jusqu’à l’imprescriptibilité. Cela aurait été message très fort renvoyé aux pédocriminels : jamais durant leur vie ils ne pourraient échapper au fait de rendre des comptes quand leurs victimes souffrent toute leur vie sans prescription de leurs agissements.

Mais la question est compliquée. La prescription (des faits ou des condamnations) qui s’analyse comme un droit à l’oubli, est à la fois un élément de paix sociale et un instrument pour permettre la réinsertion de l’auteur. Et comment faire la preuve en cas de contestation 40 ans plus tard ? N‘est-ce pas vendre du vent ? L’imprescriptibilité n’est retenue que pour les crimes contre l’humanité à la définition très restreinte. Certains comme M° Petitti alors bâtonnier de Paris estimaient que la prostitution imposée aux enfants en Asie relevait du crime contre l’humanité ; il n’a pas été suivi.

Et pourquoi une imprescriptibilité du viol sur enfant et pas sur le meurtre ?

On voit qu’on enclencherait un débat sur ce terrain serait, non pas sans fin, mais délicat.

Pourquoi ne pas avoir réagi dans les années 90 quand Matzneff se pavanait sur les antennes et que ces écrits circulaient où Il se vantait d’entretenir des relations sexuelles avec de très jeunes enfants, pas seulement des adolescents ?

Les raisons sont multiples étant précisé que tous ne sont pas restés sl les bras croisés – notamment Denise Bombardier en direct sur le plateau d’Apostrophe et bien d’autres – et que dans la dynamique qui se nouait nous avons marqué de nombreux points dépassant, mais en nous nourrissant du cas Maztneff

Il faut se garder de revisiter l’histoire avec notre sensibilité du moment. Il faut tenter de comprendre. Ce qui ne veut pas dire excuser. On verra qu’aujourd’hui encore nous ne sommes pas sans contradictions ou zones d’ombre.

De mon point de vue en 90 s’achevait un premier cycle de prise de conscience de la réalité et de la diversité des violences faites aux enfants. Les étapes en sont connues : en 1980 le rapport du dr Pierre Strauss réveille la France ; en 82 David enfant du placard bouleverse l’opinion et amène G. Dufoix à inviter à » Oser parler la maltraitance » dans Le Monde ; 83 voit le coup d’envoi de la mobilisation publique avec les circulaires Dufoix sur la maltraitance à enfant,; en 85 Mme Barzach se sent mûre come ministre pour aborder les violences sexuelles notamment l’inceste ; la loi Dorlhac du 10 juillet 1989 sur la maltraitance à enfants – la maltraitance fait son entrée dans le droit – après le rapport Barrot structure la réponse publique avec le Téléphone vert national (SNATEM devenu SNATED) et vient alors la circulaire Aubry sur les maltraitances institutionnelles. On commençait à peine à parler des violences psychologiques et aujourd’hui seulement du choc post-traumatique.

Il faudra attendre la loi du 17 juin 1998 pour qu’un texte fort – la loi Guigou – s’attache, à la demande des associations réunies au sein du COFRADE, aux violences sexuelles : dans le prolongement des travaux de la capitaine Cariole Mariage et du lieutenant Thierry Terraube on va légaliser la procédure MELANIE importée du Québec sur l’audition des enfants ; on va pouvoir poursuivre en France les relations sexuelles imposées à des enfants à l‘étranger par des français ou ressortissant étrangers demeurant habituellement en France, on va faciliter les poursuites pénales par les dispositions sur la prescription, etc. Bref on redécouvre le phénomène maltraitance et nos principales lacunes en appelant les uns à parler, les autres à écouter et à voir ! On aura une année maltraitance, grande cause nationale

Une deuxième phase s’est ouverte partir de 1985 à travers les travaux de l’iDEF) pour quantifier avec les difficultés et les limites de l’exercice le phénomène violence à enfants. On peut maintenant affirmer qu’un enfant meurt sous les coups tous les 5 jours et que les violences sexuelles à enfants dans et hors la famille, dans la rue et dans les institutions (école, colonies, Église) sont de grande ampleur : rien ne démontre qu’elles aient augmenté, mais on a à connaitre de plus de situations. Sous l’égide du CNPE se travail de connaissance avec des chiffres-clé se poursuit sans être achevé.

Enfin, et cela est récent, on a pris conscience du trauma causé aux victimes à travers leur témoignage qui porte.

Bref en 1990 on n’avait pas une aussi claire vision de l’acuité du phénomène et des drames causés. On pouvait encore le relativiser donc la minorité en quantité et en qualité.

Ajoutons dans l’affaire Matzneff que l’attentat à la pudeur sur mineur de 15 ans alors applicable à défaut du viol apparaissait une infraction ringarde. Elle ne sera remplacée qu’en 1994 par l’atteinte sexuelle à mineur de 15 ans punie de 5 ans quand l’attentat à la pudeur l’était de 2 ans seulement.

Que dire encore d’une certaine complaisance post-soixante-huit tarde sur les nouvelles pratiques sexuelles (hors mariage, homosexuelles) ou l’évocation de la sexualité des enfants ? Une pétition circula en sa faveur avec « de grandes signatures » pour qu’on ne lui cherche pas de noise quand même il choquait par son prosélytisme et son arrogance de vieux beau.

Certains psychiatres à l’époque n’hésitaient à avancer que l’enfant était séducteur, donc responsable de ce qui pouvait lui arriver ! D’autres avançaient comme G. Matzneff que l’enfant avait le droit une sexualité et qu’on l’aidait à exercer son droit ! En 1981 – on parla alors de majorité sexuelle – le législateur avait estimé qu’à 15 ans l’enfant pouvait avoir des relations consenties (hors viol ou agression sexuelle) avec qui il voulait sans que celui-ci soit punissable. On oubliait que si l’enfant avait des droits, l’adulte avait lui des responsabilités.

Spécialement concernant G. Maztneff, mais dans d’autres milieux on trouverait des processus proches, relevons la confraternité entre éditeur et écrivain qui valut encore récemment à G. Maztneff d’obtenir un sous orin littéraire à l’initiative de Jean d’Ormesson

Constatons que les associations militant sur les droits des enfants n’avaient pas l‘envergure et le statut juridique nécessaire pour enclencher proprio motu une poursuite et que tout bonnement le parquet – et le ministère de la justice – à l’aune de la société n’avait pas mesuré l’acuité de ces violences.

A-t-on réellement évolué ?

Oui … et non

Oui parce que nous avons marqué de nombreux points pour mieux prendre en compte ces violences sexuelles faites aux enfants : l’interdit est posé clairement depuis 1994 par-delà le viol (on parle d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans), on a facilité le recueil de la parole des enfants et son traitement (ex. : le 119, les services spécialisés de police, etc.)

Non car on reste prisonnier d’approches dépassées. Ainsi on continue à parler d’abus sexuel quand il faudrait parler simplement de violences sexuelles à enfants. Abuser laisse à penser qu’il n’y a pas d’usage normal de la part des adultes de la sexualité des enfants. Or c’est un interdit. Point-barre.

En 2018 on a été incapable de franchir une étape en qualifiant de crime, le fait pour un adulte d’avoir une relation sexuelle avec un enfant de moins de 15 ans/

La loi Schiappa est donc mauvaise ?

Oui, mais surtout faute de sérieux on a raté une fenêtre de tir si n laisse à part le fait d’avoir étendu la prescription comme le suggérait tout logiquement le rapport Flavie Flament.

En réaction aux affaires de Pontoise et de Melun La ministre Schiappa de l’égalité Femme-Hommes– pourquoi la justice avait-elle renoncé à la gestion de ce dossier ? – nous avait promis une réponse ferme et claire.

On attendait que l’on parle de viol, donc de crime et de cour d’assises et qu’il soit dit clairement qu’un enfant ne pouvait pas valablement consentir à des relations sexuelles avec un adulte.

Avec la loi du 28 aout 2018 on n’a ni la réponse forte ni les dispositions claires attendues.

Rien ne change fondamentalement. Sur le viol on reste avec sur une présomption simple de non-consentement avant 15 ans du fait de l’écart d’âge ou encore de l’absence de discernement en général de l’enfant. Fallait-il vraiment une loi pur en arriver là.

Faute d’avoir pu faciliter le recours au viol, on a dû se contenter de renforcer les peines pour atteinte sexuelle qui passent de 5 à 7 ans (10 ans en cas de récidive).

Bref la voie du viol étant toujours aussi aléatoire avec la possibilité de ne pas trouver la preuve du refus de relation et celle de l’atteinte sexuelle renforcée les procureurs et les juge d’instruction recourront plus que jamais à la correctionnalisation plutôt que d’aller devant les analyses. On n’a pas la réponse forte au niveau souhaité : les assises.

La démarche de Mme Schiappa ne s‘est pas avérée claire puisque personne n’a compris ses apports et en quoi elle répondait aux affaires de Pontoise et de Melun et aux promesses faites. Elle a fait l’unanimité contre elle.

Pourquoi cet échec ?

Par impréparation pour être gentil. On a improvisé et la Chancellerie était loin.

On s‘est précipité sur l’idée politiquement fondée de poser une présomption absolue de non-consentement pout les moins de 13 ans, âge finalement porté à 15 ans après polémique et sur instruction du président Macron. On a simplement oublié que le Conseil constitutionnel entend garantir à tout accusé de pouvoir démontrer qu’un élément constitutif de l’infraction reprochée n’est pas établi, cette voie était bouchée. Le non-consentement de la victime est on le sait un élément essentiel du viol. La présomption ne pourrait être que simple, c’est-à-dire supporter la preuve contraire, donc rien n’était résolu. On revenait à la case départ.

Comme nous le proposions dans Le Monde avec C. Brisset, C Couteanceau et Boris Cyrulnick il eut fallu quitter le terrain de la subjectivité du consentement pour celui plus objectif de l’interdit posé à tout adulte d’entretenir une relation sexuelle avec un enfant quelles qu’en soient les raisons ou les circonstances . C‘est à l‘adulte de faire preuve de maturité pour deux. Et si les enfants sont séducteurs comme l’avancent encore certains psychiatres il revient aux adultes de faire preuve de responsabilité. La loi le leur demande et les punit en conséquence s’ils enfreignent cet interdit. « Touche pas à l’enfant ! ».

Il n’y a pas égalité entre un enfant de 13 ans et un adulte mature. Depuis 1968 nous revendiquons de nous inscrire dans des relations d’égalité et partagées entre les partenaires. Tel n’est pas le cas entre adulte et un enfant.

On pouvait porter les peines de l’atteinte sexuelles de 5 à 12 ans : on était alors sur un crime comme le demandaient les militants. Ou on écrivait un autre texte du style « Toute personne majeur qui a une relation sexuelle avec une personne de moins de 15 ans commet le crime de violences sexuelles à enfants puni de 12 ans d’emprisonnement »

On n’a pas osé franchir ce pas. On peut penser qu’on a une nouvelle fois voulu ménager les hommes qui pourraient être accusés pense-t-on à tort. On avait déjà eu cette attitude avec la loi de 1998 sur les faits commis à l’étranger.

Les choses peuvent-elles évoluer ?

Oui mais surement pas à court terme. On voit difficilement cette majorité politique ayant refusé les amendements proposés notamment par les sénateurs revenir sur sa posture même si le paquet lui explose à la figure deux ans plus tard.

Pourquoi les choses ont-elles déjà évolué ?

D’abord parce qu’on touche les bénéfices de l’évolution des idées et des représentations. L’enfant n’est plus seulement tenu pour un objet de plaisir et de toute puissance des adultes, mais comme une personne qui comme telle, femme ou homme, jeune ou vieux, national ou étranger etc. se doit être respecté dans son corps. C’est le fruit du travail des Françoise Dolto et autres Janus Korschach ou Brazelton qui s’est finalement concrétisé à travers la CIDE adoptée le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur sur quasiment toute la planète, dont la France.

Deuxième raison qui vaut ici comme dans d’autres domaines proches (ASE, femmes victimes, etc.) : la parole des principaux intéressés sur la place publique a finalement plus d’impact que celle des professionnels et des militants.

Me Too, les affaires Haenel, Polanski, aujourd’hui l’affaire Matzneff marquent noblement un virage. Et l’histoire est morale : on a beau être puissant ou célèbre –, on doit rendre des comptes sur ce qu’on a fait de grave  et pas seulement à sa conscience. N’en déplaise à ceux qui seraient prêts à tout pardonner au nom de génie – Polanski soutenu par trois ministres français de droite et de gauche ! Les poursuites ne sont pas engagées pour venger la victime mais pour rappeler l’interdit et prévenir des victimes potentielles.

Source: https://www.lemonde.fr/blog/jprosen