Le gouvernement Legault a connu une nouvelle victoire contre les opposants à l’interdiction du port de signes religieux par les employés de l’État en situation d’autorité cette semaine. La Cour d’appel du Québec a rejeté une demande de suspension de certains articles de la Loi 21 sur la laïcité de l’État.

Cette saga judiciaire pourrait toutefois s’étirer encore «plusieurs années», selon des experts, alors que la Cour suprême pourrait être appelée à se pencher sur ce dossier polarisant.

«On va en avoir encore pour un sacré bout de temps», a lancé en entrevue le chargé de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et chroniqueur à Métro, Frédéric Bérard.

La Cour d’appel du Québec a invalidé, jeudi dernier, la demande de suspension de deux articles de la Loi sur la laïcitié de l’État réclamée par plusieurs organismes, dont le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) et l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC).
 
Il ne s’agit toutefois pas d’une décision unanime. La juge en chef Nicole Duval Hesler, visée par de multiples plaintes pour apparence de partialité dans cette affaire, «aurait accueilli l’appel en partie et aurait suspendu, pendant l’instance, l’application de l’article 6» de cette loi. Cet article interdit aux employés de l’État en fonction d’autorité, qui comprennent entre autres les enseignants et les policiers, de porter un signe religieux dans le cadre de leurs fonctions.
 
Le jugement reconnaît d’ailleurs que la Loi sur la laïcité de l’État, depuis son adoption le 16 juin, a causé un préjudice à plusieurs personnes.
 
«Les enseignantes et les enseignants en formation qui ont signé de nouvelles déclarations sous serment, qui sont toutes des femmes musulmanes, se sont vu refuser des opportunités d’emploi par les commissions scolaires de Montréal parce qu’elles portent le hijab comme symbole religieux», évoque le jugement.
 
Clause de dérogation
 
La Cour d’appel a toutefois dû tenir compte, dans sa décision, de la clause de dérogation incluse dans la Loi sur la laïcité. Une telle clause permet à un gouvernement de se protéger contre d’éventuelles contestations d’une loi au nom de certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés.
 
«Il s’agit de suspendre les droits fondamentaux des citoyens, droits qui ont été durement acquis et qui garantissent les libertés qui nous sont chères comme société et pays. […] Il faut donc être très prudent lorsqu’on invoque de tels pouvoirs extraordinaires», soulèvent les trois juges.
 
En juillet dernier, le juge de la Cour supérieure Michel Yergeau avait rejeté la demande de suspension des deux articles controversés de cette loi, soulignant qu’il n’y avait pas de preuve que ceux-ci engendreraient des «dommages sérieux ou irréparables». Ce jugement a ensuite été porté en Cour d’appel.

«Cette souffrance n’a été imposée pour aucune autre raison que ce que l’on porte, comment on pratique la religion, ou le fait qu’on a l’air différent de la majorité. Nous n’avons pas fini de combattre cette loi injuste», affirme Noa Mendelsohn Aviv, porte-parole de l’ACLC.     Procès sur le fond

La Cour d’appel donne toutefois la possibilité aux groupes qui contestent la Loi 21 de présenter une nouvelle preuve. La Cour supérieure pourrait ainsi se pencher, l’automne prochain, sur le fond de ce dossier, qui s’annonce complexe.

Les opposants à cette loi plaideront, entre autres, que celle-ci est sexiste. Elle contreviendrait selon eux à l’article 28 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit l’égalité entre les sexes. Un article qui n’est pas couvert par la disposition de dérogation incluse dans cette loi.

«La question que les tribunaux devront trancher tôt ou tard, c’est si on peut, avec la clause dérogatoire, brimer l’égalité entre les hommes et les femmes», explique à Métro le professeur au département des sciences juridiques à l’Université du Québec à Montréal, Pierre Bosset.

Devant la Cour d’appel, les opposants à cette loi ont présenté plusieurs témoignages d’enseignantes et d’étudiantes en enseignement musulmanes qui, en raison de leur voile, se voient forcées de réorienter leur carrière.

«L’argument, c’est que ce sont surtout les femmes qui vont être affectées par la loi 21», analyse le doyen de la Faculté de droit à l’Université McGill, Robert Leckey.
 
Ainsi, «le gros enjeu de la Loi 21, c’est la question des enseignantes», estime M. Bosset. Une situation attribuable au fait que la proportion de femmes portant des signes religieux présentes dans les autres corps de travail visés par cette loi demeure marginale.
 
Si la Cour supérieure reconnaissait le caractère sexiste de cette loi, cela pourrait porter un coup dur au gouvernement Legault, qui porterait sans doute la cause en appel.
 
«Dans l’immédiat, ce n’est pas impossible non plus que les appelants se rendent tout de suite en Cour suprême pour demander la suspension immédiate de deux articles de la loi», précise toutefois M. Leckey en référence aux opposants de la Loi 21. 
 
Dans tous les cas, «on parle probablement de plusieurs années» de procédures judiciaires, envisage M. Bosset.
 
«C’est fort probable que ce litige soit encore en cours aux prochaines élections », souligne Robert Leckey.

Des répercussions ailleurs au pays

La semaine dernière, le premier ministre du Manitoba, Brian Pallister, a affirmé qu’il interviendra contre la Loi 21 si ce dossier se rend en Cour suprême. À la fin du mois de novembre, le gouvernement du Manitoba a fait vivement réagir en commanditant des publicités contre la loi québécoise sur la laïcité donnant «21 raisons de se sentir chez soi au Manitoba».

Si Frédéric Bérard qualifie les frasques de M. Pallister de «spectacle politique», Pierre Bosset précise que le premier ministre du Manitoba est tout en droit de s’opposer à la Loi 21, toutes les provinces canadiennes étant assujetties aux chartes des droits et libertés.

«D’autres provinces pourraient aussi être impliquées dans ce dossier-là. Ce n’est pas quelque chose d’inusité», estime le professeur à l’UQAM.

M. Bosset estime par ailleurs que le gouvernement fédéral de Justin Trudeau «a certainement un intérêt à intervenir dans ce litige». En campagne électorale, le premier ministre du Canada était demeuré évasif sur la participation éventuelle d’Ottawa dans ce dossier.

«[Justin Trudeau] devra peser son intérêt ici au Québec et son intérêt ailleurs au Canada. Il y a évidemment une pression ailleurs au pays pour qu’il s’implique dans ce dossier», ajoute Pierre Bosset.  

Auteur : Zacharie Goudreault/ Métro