
La violence qui caractérise le pays interpelle plusieurs organisations de défense des droits humains. Dans une note transmise à la rédaction du journal, ce mardi 11 février 2025, « le Forum provincial des droits de l’homme, l’ordre des défenseurs des humains et le collectif Défenseurs Plus » appellent les conseillers présidents soupçonnés des actes de corruption et de trafic d’influence à se rendre à la justice. Ces organismes optent pour une transition qui sera conduite par un juge de la cour de cassation en vue de colmater l’insécurité et d’organiser des élections de manière transparente et indépendante.
Voici l’intégralité de la note
Cap-Haitien, Port-au-Prince, le 11 février 2025.
Face à la dégradation alarmante de la situation politique et des droits humains en Haïti, le Forum Provincial des Droits de l’Homme, l’Ordre des Défenseurs des Droits Humains (ORDEDH) et le Collectif Défenseurs Plus condamnent avec fermeté les manœuvres antidémocratiques en cours. Ils appellent à une mobilisation nationale pour la restauration de l’État de droit. Depuis plusieurs mois, la gouvernance du pays se caractérise par une violation systématique des principes démocratiques et constitutionnels, compromettant gravement les droits fondamentaux du peuple haïtien.
Face à cette situation intolérable, les organisations signataires de la présente dénoncent les faits suivants :
La non-intégration du secteur des droits humains au Conseil électoral provisoire (CEP) et son manque d’indépendance
- Le Conseil Électoral Provisoire, structure chargée d’organiser les scrutins électoraux, a été constitué sans intégration du secteur des droits humains. Cette exclusion démontre une volonté manifeste d’instaurer un processus électoral biaisé, privé de toute crédibilité et de transparence, violant ainsi l’article 289 de la Constitution du pays et l’article 33.1 de l’accord du 3 avril 2024, instituant le Conseil Présidentiel de Transition.
- Le Conseil Électoral Provisoire se trouve sous l’influence directe du Conseil Présidentiel de Transition contesté, entravant ainsi son indépendance et sa capacité à garantir un processus électoral libre et équitable. Ce manque d’autonomie met en péril l’intégrité des prochaines élections et renforce les suspicions de manipulations politiques. Une preuve flagrante de cette soumission réside dans le fait que c’est le Conseil présidentiel de transition qui annonce la date du référendum et des élections, en terre étrangère. Le Conseil électoral provisoire, réduit à une simple entité fantôme en acceptant ces décisions sans consultation avec les acteurs politiques et de la société civile.
- En raison des violences armées et de l’insécurité généralisée dans le pays, le Conseil électoral est dans l’incapacité d’organiser des actions crédibles sur le terrain. Les menaces constantes pesant sur les institutions publiques et les citoyens rendent toute démarche électorale inopérante et dangereuse.
L’illégitimité du Conseil Présidentiel de Transition et l’impossibilité d’un référendum constitutionnel et d’élections générales dans un climat de violence et de corruption
- Le Conseil Présidentiel de Transition contesté prévoit un référendum constitutionnel et des élections générales dans un contexte marqué par des violences généralisées et des scandales de corruption. Les membres du Conseil Présidentiel sont en contravention avec les lois de la République relatives à la prévention et la répression de la corruption. Dans un pays où l’insécurité paralyse les libertés fondamentales et les gangs contrôlent de vastes territoires, il est inacceptable de prétendre organiser une consultation démocratique crédible. Les autorités de facto reconnaissent que la dictature politique est remplacée depuis des année par la dictature de la violence armée, dont elles sont les bénéficiaires.
- Le Conseil Présidentiel de Transition, déjà contesté pour son manque de légitimité, fait l’objet de vives critiques de la part des organisations de la société civile et des coalitions des partis politiques qui l’avaient désigné. De nombreuses voix dénoncent des cas avérés de trahison, d’abus de pouvoir et de corruption, ainsi que le non-respect de l’Accord du 3 avril 2024, qui devait encadrer la transition et garantir une meilleure représentativité des forces politiques et sociales du pays.
- Cette situation démontre l’impossibilité pour ce Conseil présidentiel d’assurer la tenue d’élections justes et transparentes. Son maintien au pouvoir ne fait qu’exacerber la crise politique et institutionnelle que traverse le pays depuis l’assassinat crapuleux du Président Jovenel Moise, le 7 juillet 2021.
L’arrogance des groupes armés et de certains acteurs politiques et économiques qui alimentent le chaos en Haïti

- Les gangs armés imposent leur loi dans plusieurs zones du pays, notamment dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et le département de l’Artibonite. Ce climat d’insécurité, entretenu par des complicités au sein des sphères politiques et économiques, maintient la population dans une situation de peur permanente et d’empêchement total à l’exercice de ses droits fondamentaux.
- En parallèle, la population haïtienne est confrontée à une précarité insoutenable, un chômage massif et une insécurité alimentaire croissante. Ainsi, cette situation viole le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Les infrastructures sanitaires du pays sont dans un état de délabrement avancé, laissant les citoyens et les citoyennes sans accès adéquat aux soins de santé de base.
- Le système éducatif est également en crise, avec la fermeture prolongée des écoles publiques et l’absence totale de contrôle du gouvernement sur le secteur, comme l’a souligné le ministre de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle lors de son intervention du 4 février 2025. L’éducation, pilier fondamental du développement national, est aujourd’hui sacrifiée sur l’autel de l’instabilité politique et des violences des groupes armés.
Recommandations
Face à cette situation de crise politique et de violences insoutenables dans le pays, les organisations des droits humains signataires de la présente appellent à des actions concrètes et immédiates pour une gouvernance acceptable dans l’intérêt supérieur de la Nation. Elles appellent notamment aux actions suivantes :
- Une évaluation des actions du Conseil Présidentiel de Transition, jugées illégales et illégitimes. Les conseillers soupçonnés et inculpés dans des actes de corruption, de trafic d’influence et de détournement des fonds publics doivent être traduits en justice. Et, le Conseil dans son ensemble doit tirer les conséquences de son échec et de son illégitimité.
- Un recours à la Cour de cassation de la République pour la mise en place d’une présidence de transition et la formation d’un gouvernement de consensus incluant des acteurs indépendants et représentatifs de la société civile. Ce gouvernement de consensus aura pour mission de combattre les violences armées et toutes les formes d’insécurité dans le pays ; améliorer les conditions de vie de la population et organiser les élections générales d’une manière inclusive et participative dans un délai raisonnable.
- Une mobilisation citoyenne d’envergure pour exiger le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux du peuple haïtien. Les organisations sociales sont appelées à jouer leur rôle de vigile pour garantir une dernière transition démocratique et à œuvrer la mise en place des institutions constitutionnelles capables de contribuer au développement économique et social du pays.
Les organisations haïtiennes des droits humains, signataires de la présente note, appellent à la conscience nationale et internationale pour que des mesures urgentes soient prises afin de freiner la descente aux enfers de notre pays. Haïti ne peut plus rester l’otage d’intérêts particuliers au détriment du bien-être collectif. L’heure est à l’action et à la responsabilisation de tous les acteurs pour une véritable transition vers la justice, la paix et la démocratie.
Bathelmey Décius JEAN NOEL, av.
Coordonnateur du Forum Provincial des Droits de l’Homme
Téléphones : 509 33672756/47717645
Darbenzky GILBERT, av.
Directeur Exécutif de l’Ordre des Défenseurs des Droits Humains (ORDEDH)
Téléphone : 509 3199 7139
Antonal MORTIMÉ, av.
Co-Directeur du Collectif Défenseurs Plus
Téléphone : 509 3715 7299