
Professeur de droit constitutionnel, Sonet Saint-Louis ne cesse de dénoncer, à la lumière du droit, les rapports difficiles de la classe politique aux lois de la république. Cette fois, le juriste saisit l’affaire Ritchy Jean-Baptiste, fils d’Éric Jean-Baptiste du RDNP, pour mettre une fois de plus le doigt sur nos nombreuses tares qui nous empêchent d’aller de l’avant dans l’œuvre de refondation dont notre pays meurtri a tellement besoin.
Montréal, https://www.lemiroirinfo.ca, Mardi 02 Février 2021
Dans cette affaire, il y a deux questions fondamentalement juridiques à répondre : la tentative de kidnapping a été faite sur la personne de qui ? Où est la victime ? De ces interrogations surgit une troisième : pourquoi ne porte-t-elle pas plainte ? Le conducteur de moto dit qu’il a suivi le garçon d’Éric Jean-Baptiste depuis Carrefour jusqu’à Thomassin. Pourtant aucune victime n’a été identifiée ni à Carrefour ni à Thomassin. Un fait banal qui devient important, traduisant encore une fois le manque de confiance des citoyens dans les forces de sécurité nationale.
Qui n’a pas peur de la police aujourd’hui ? Qui, dans le contexte actuel, prendrait le risque de s’arrêter quand des hommes cagoulés nous donnent l’ordre d’immobiliser notre voiture ? C’est l’État qui est en faillite parce qu’il manque à son devoir de protection. C’est la gouvernance actuelle qui est défaillante et qui doit faire place nette à une équipe d’hommes et de femmes intègres, patriotes et compétents pour fabriquer la nouvelle République. C’est la question centrale. L’impératif du moment. C’est le devoir de tous de bannir un gouvernement inhumain.
Le cas du fils d’Éric Jean Baptiste va se répéter parce que personne ne fait confiance aux forces de sécurité nationale totalement domestiquées par le pouvoir en place.
Il faut prendre de la hauteur pour analyser cette situation. En Haïti, on a piétiné l’éthique en politique. On en a fait une eau sale où seuls les cochons peuvent baigner. Ces vils et méprisables conseillers, experts en coups bas, croient pouvoir prendre tout le monde dans la ville pour des imbéciles, comme l’a bien dit un ami. La politique est un rapport d’intelligence et de sens. Nos hommes politiques, dans la grande majorité méconnaissent l’éthique. Ils n’ont pas le sens de la mesure, du bien et du juste. Être politicien ou intelligent en politique en Haïti, signifie être capable de donner des coups bas à vos adversaires et rivaux en politique. Cependant, pour les modernes, être intelligent en politique, c’est être capable de résoudre les problèmes fondamentaux du pays.
La honteuse pratique du dénigrement
Les adversaires d’Eric Jean-Baptiste l’appellent avec dénigrement « machann borlette ». Mais ces détracteurs ignorent que cette personne qu’ils calomnient, a donné de l’argent pour construire la Faculté de droit de Jacmel. Je connais des avocats, des notaires, des médecins, des économistes de la place, produits de l’université d’État d’Haïti comme moi, qui sont devenus millionnaires grâce aux affaires louches et illicites et qui ne pensent pas, ne serait-ce qu’une fois, à déposer un livre dans l’une des bibliothèques de nos facultés, dépourvues de tout. Pourtant, ce type que vous essayez de dénigrer, finance des institutions éducatives pour que nous continuons à produire des avocats, des économistes de valeur afin que, justement, les petits Jacméliens ne deviennent pas comme lui un «marchand de borlette ».
Nos deux derniers présidents, et celui en poste actuellement, ne sont pas plus diplômés qu’Éric Jean-Baptiste. Manigat que vous immortalisez aujourd’hui parce qu’il n’est plus là, vous l’aviez rendu inutile par vos coups bas, vos machinations politiques dont il a été victime en permanence. Quand à vous, recteurs, professeurs des universités, avec vos grands diplômes, vos grades universitaires, noyiez Leslie Manigat dans la piscine de Montana, dans votre obstination à barrer la route à la qualité, à la compétence, Eric Jean-Baptiste, lui, avait laissé, son sac derrière, sa borlette, ses vanités, son argent, – tout ce qui vous rend fous par bêtise -, pour embrasser Leslie, au nom de l’excellence et de la connaissance. Votre rapport avec Leslie Manigat était : Hypocrisie, Haine, Jalousie et Méchanceté.
Eric Jean-Baptiste n’est pas Leslie Manigat. Certes ! Haïti prendra encore du temps pour reproduire ce bel échantillon de l’intelligentsia haïtienne. Leslie Manigat était total, comme l’est l’histoire pour l’école des annales dont il est l’un des adeptes. En parlant de cette beauté de l’esprit, mon ami Daly Valet disait au cours de nos échanges universitaires qu’après avoir lu Leslie Manigat, plus précieusement son ouvrage « L’Amérique Latine au 19e siècle », on devrait avoir honte de se dire intellectuel tant l’océan qui nous sépare de cet homme est immense. Je rappelle que cet ouvrage en question constitue aujourd’hui une référence pour tous les étudiants de doctorat en sciences politiques dans les prestigieuses universités européennes et américaines. Pourtant, ce mort qu’on vénère aujourd’hui avait bel et bien vécu parmi nous, il n’y a pas si longtemps de cela et vous l’aviez combattu sans trêve parce que vous n’acceptez pas de concurrents valables en politique.
Un problème de précarité
Soyons sérieux, tout le problème, c’est la précarité, l’incertitude du lendemain, la fragilité des uns et des autres, et notamment des classes moyennes, confrontées à un drame de survie, donc existentiel. Tout le monde se précipite sur l’appareil d’État, seul espace de réussite. On refuse d’être chef d’entreprise. On préfère être entrepreneur politique, parce que le crédit n’est pas démocratisé. L’argent est extorqué par un petit groupe de privilégiés du système régnant. L’État devient la substance de tout. C’est pourquoi, tous les coups sont permis dans la course vers la capture de l’État. On s’entre-tue et on détruit tout parce que nous sommes jaloux de la réussite des autres. Chacun cherche à écraser l’autre parce que le gâteau à partager est trop petit. La rareté est l’unique cause de la guerre, cette guerre sociale à laquelle nous sommes tous exposés.
Sans création de richesses, sans croissance économique, sans d’opportunités, la guerre ne peut être que totale. Une guerre entre ceux mangent et ceux qui ne mangent pas. Une sale guerre qui oppose les « have » et les « have not ».
La question est fondamentalement économique. La démocratie a horreur de la crasse. Si, on ne s’attaque pas à cette pauvreté de masse, aucun président élu ne pourra terminer son mandat constitutionnel sans heurts. On a besoin de plus de chefs d’entreprise que de politiciens par nécessité.
En même temps, nous devons admettre que les inégalités sociales dans notre société sont inacceptables. Il faut rebattre les cartes raisonnablement. Et seul le peuple peut libérer le peuple.
Loin d’Haïti, je sens la douleur d’un père déprimé, ravagé, détruit, qui a failli être brûlé vif au commissariat de Pétion-ville avec ses fils, par manque de réflexion d’un peuple maltraité, oublié, méprisé par ses élites sauvages. On voulait à tout prix avoir sa peau. Cela aurait pu arriver parce que les gens ont perdu l’espoir et sont désespérés face à un pouvoir qui les abandonne à la violence des entités criminelles.
On est devenus tellement immoraux dans ce pays que les citoyens en arrivent à douter de tout. Chez nous, les pires choses arrivent, on commet des actes les plus immoraux mais ceux-ci ne sont pas sanctionnés.
Le peuple a une image très négative des hommes d’affaires et des hommes politiques haïtiens. Pour lui, la majorité de ceux-ci sont des patrons du crime organisé. C’est un triste constat ! Une réalité qu’il faut changer.
Faisons la politique autrement !
Au moins, un drame nous a été épargné. Cela nous invite à concevoir, dire et faire la politique autrement mais surtout travailler à la rédemption des masses et rurales et urbaines. Car, le pays est constitué en grande majorité des masses urbaines et rurales. Ce sont elles qui tiennent Haïti encore en vie, malgré leur détresse.
Le gouvernement actuel doit partir car son mandat constitutionnel est arrivé à terme. Il doit céder la place à une nouvelle équipe afin que cessent ces actes d’horreur dans notre République. Cette gouvernance est dangereuse et pernicieuse. Elle met en danger la vie de chaque citoyen. On ne peut imaginer de stabilité ni de progrès, et l’arrêt des cas de kidnapping avec la présence du Président Jovenel Moïse et de son équipe d’incompétents au Palais. Et il est aussi impératif que le RDNP, le parti du professeur Leslie Manigat, et son secrétaire général actuel, soutiennent la position de la professeure de droit constitutionnel, Mirlande Manigat, concernant le mandat présidentiel. Selon cette experte, la date du 7 février 2021 marquera la fin du mandat du président Jovenel Moïse, non seulement aux termes de l’article 134-2 mais au nom du principe de l’égalité des citoyens. Ce principe témoin de l’État de droit que j’ai souvent évoqué dans mes textes précédents, vient d’être repris par la conférence épiscopale dans sa note du 2 février 2021 qui conclut que le mandat de Jovenel Moïse prendra fin le 7 février 2021. Pour une fois, la science aura raison dans ce pays.
Pour finir, j’invite les acteurs politiques haïtiens à cultiver le sens de la mesure et à faire un examen de conscience. La politique unit, désunit et réunit. L’adversaire d’aujourd’hui peut être l’allié inconditionnel de demain. C’est pourquoi la politique ne peut pas se passer de vertu.
Cette nouvelle classe politique qui doit surgir doit être plus professionnelle et moderne. Tolérante. Dans notre nouvelle façon de concevoir la politique, on doit accepter que l’autre est libre et différent. Pour l’instant, notre esprit d’intolérance veut que l’autre vous suive et vous reproduise. On veut entraîner l’autre dans une forme de renonciation de soi. S’il résiste, on doit l’écraser ou le bannir du jeu. Les gens sont tout simplement différents. Combien comptez-vous en éliminer ? On peut concurrencer un adversaire sans le détruire ou le calomnier. La machination politique est le besoin des politiciens incertains. Soyons des modernes !
Auteur : Sonet Saint-Louis av, Professeur de droit constitutionnel
Montréal, 1er février 2021
Tel (509) 37368310 / (509) 42106723