Aux micros de maîtres Oreste Joseph Apilar Junior MORIN et Osnel JEAN-BAPTISTE sur les ondes de la Radio Communauté Haïtienne « RCH 2000″, dans la soirée du Mercredi 13 janvier 2021, le présumé chef de gang «Grand grif», Odma de « Savien », localité de la première section communale de Petite Rivière de l’Artibonite, a révélé sans langue de bois des comportements reprochables et répréhensibles de certaines autorités étatiques en ce qui se rapporte à des cas d’enlèvement récurrent ces derniers temps en Haïti.

Cap-Haïtien, https://www.lemiroirinfo.ca, Samedi 06 Février 2021

 Il a assumé être armé par l’État haïtien en détenant tous les équipements requis pour affronter sans ambages les forces de l’ordre légal et spécialisé de la République jusqu’à ce qu’il meure. Mourant, ses œuvres continueront d’être reproduites par son entourage puisque, dit-il, les autorités du pays n’ont rien fait de sérieux pour redresser la situation en sommant un climat de paix et de sécurité sur tout le territoire national où il pourrait faire beau de vivre.

Le présume chef de gang Odma a avoué recevoir chez lui des otages exécutés techniquement et professionnellement par certaines autorités étatiques s’habillant en agent de la Police Nationale d’Haïti. Il déclare par elles être rémunéré faiblement, c’est-à-dire, sur un montant de quatre-vingt mille dollars américains, elles peuvent lui en donner 200.000 à 250.000 gourdes. Odma reconnait, toujours aux micros de maîtres Morin et Osnel, mener conjointement ses soldats des cas d’enlèvement à raison de faibles rançons. Pour lui, la population doit être intelligente pour comprendre la stratégie des femmes et des hommes politiques du pays qui peuvent tout faire pour accaparer les pouvoirs économicopolitiques et les consolider par tous les moyens possibles. « Je suis recherché activement par la Police Nationale d’Haïti, comment pourrais-je me carrer sans craintes dans une voiture officielle aux vitres teintées si je n’étais pas en connivence avec les responsables de l’État haïtien ? » Se demandait-il. Au lendemain soir, le présumé chef de gang Odma est attaqué par la Police Nationale d’Haïti.

Considérations techniques

En effet, la mise en contexte ci-dessus est fondée et importante. Fondée, parce qu’elle nous aidera à justifier notre hypothèse selon laquelle : L’attaque ou le démantèlement du groupe de gang de Odma à ‘’Savien’’ par la PNH : un jeu de sauve qui peut. Importante, parce que les déclarations de Odma livrent en plein jour les caractéristiques des cas d’enlèvement récurrent dans le pays. Elles nous aident en outre à comprendre que d’une part, les cas d’enlèvement et de séquestration sont des actes liés à des crimes officiels. Ces derniers dérivés des méthodes de la criminologie générale, notamment des statistiques criminelles, s’expliquent par le principe de ‘’Dark Number (1) ’’. D’autre part, elles traduisent la nécessité de voir que la situation actuelle du pays semble être créée ou intentée par les tenants de la politique nationale et les acteurs économiques du secteur privé haïtien.

À tort ou à raison, aucune déclaration officielle ne vient contredire la révélation du présumé chef de gang Odma. Aucun acteur économique et/ou politique ne prend le contrepied pour se dédouaner des accusations alléguées par Odma. N’est-il pas la preuve que ceux qui sont indexés par Odma se mêlent dans la situation sociopolitique actuelle du pays ? Pourquoi Odma et ses alliés n’ont pas été attaqués brutalement par la PNH avant son interview à la RCH-2000 ? Les armes et les munitions dont ils se servent pour causer des actes punissables au niveau de la société, ne leur sont-elles pas données par les autorités étatiques, politiques et économiques du pays ? Quel est le jeu de l’international en tout cela ? Pourquoi le Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Me Rock Feller Vincent, à travers le parquet près la juridiction des Gonaïves, n’a jamais demandé que l’action publique ait été mise en marche contre Odma et ses amis gang, quand ces derniers ayant exhibé leurs armes et munitions sur les réseaux sociaux ? Qu’en est-il du Premier Ministre Jouthe JOSEPH, chef du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN) ? Le Président de la République, Son Excellence Monsieur Jovenel MOÏSE, qu’a-t-il fait de l’article 136 de la Constitution du 29 mars 1987 amendée le 09 mai 2011 ? L’opposition politique haïtienne d’aujourd’hui, ne se sert-elle pas du comportement de ces gangs armés ?

Le juriste Cesare Beccaria marquis de Gualdrasco et Villareggio, dans son ouvrage : ‘’Des délits et des peines’’, paru en 1764, quoique contredit et reconstitué, voit chez le délinquant un être à comprendre et à redresser selon la politique criminelle d’un État. Cette politique annoncée par le juriste allemand, Paul Johann Anselm von Feuebach (1813), traduit la nécessité pour tous les États de prévenir et de réprimer la délinquance au niveau de la société.  Ainsi, comprendre le comportement des bandits criminels n’a jamais été chose facile. Si en Europe la recherche en matière de banditisme n’a pas été trop avancée avant la première guerre mondiale, cependant, en Amérique du Nord, elle se pousse très largement. Clifford Shaw (1930) et Henry Donald McKay (1928) maintiennent que la délinquance juvénile est due à la désorganisation sociale. Cela explique que l’État a un rôle à jouer pour empêcher que les jeunes grandissent hors les normes juridiques et sociales. Considérant cette approche, nous voyons qu’à (en) Haïti, au lieu que les autorités viennent en aide à la population juvénile, elles l’instrumentalisent et l’utilisent à des fins politiques. Ces mêmes actes se posent et par les acteurs politiques et par ceux de l’économie ne cherchant qu’à accroitre leur profit au détriment de la société. C’est le cas du sénateur Gracia Delva et l’entrepreneur Réginald Boulos, où leurs noms, entre autres, ont été cités par des jeunes armés, dont : Arnel Joseph et Jimmy Cherizier, alias «Barbecue». Aussi, naissent dans les quartiers précaires des gangs armés à répétition qui se livrent à créer des scènes de trouble au niveau du territoire national.

Combattre ou abattre un chef de gang est un acte qui révèle de la compétence de l’État à travers sa politique criminelle, l’un des éléments de la sécurité publique. Par ailleurs, il serait mieux que les autorités étatiques haïtiennes établissent de nouvelle stratégie non pas pour n’exécuter que sommairement les membres des bandes armées qui sèment le deuil et le chaos ; pour les déloger, les délocaliser tout en prenant le contrôle de la situation. En effet, fusiller un chef de gang, appréhender ses soldats, les maltraiter ; n’en est pas la solution. Il faut guérir le mal au lieu de passer tout son temps à le soigner. La liste non exhaustive des chefs de gangs armés tués à (en) Haïti ci-dessous, présentée par AyiboPost, justifie notre position :

1-         Arnel Joseph de Village de Dieu, arrêté par la PNH le Lundi 22 juillet 2019 ;

2-         Jean Sony, ‘’Ti Je’’ de Carrefour-Feuille, à « Savane Pistache », tué dans la nuit du 29 avril 2019, à Delmas 83 ;

3-         Hervé Bonnet Barthélemy ‘’Bout Jean Jean’’ et Juliot Pyram alias Kiki de la Saline. Le 1er novembre 2018, quatre individus identifiés comme « Nèg Chabon » (Nèg deyò yo) ont ouvert le feu. Juliot Pyram alias Kiki est tué sur le coup, et Hervé Bonnet Barthélemy alias Bout Jean Jean est blessé. Le 2 novembre 2018, Bout Jean Jean a été conduit d’urgence à un hôpital de la capitale pour recevoir des soins ;

4-         Junior Décimus ou Saint-Jean Romélien, dit Tèt Kale de « Grand Ravine »., tué le 5 juillet 2018 ;

5-         Mackendy François, alias, Ti Kenkenn de Martissant, notamment à Grand Ravine, assassiné le 24 juillet 2014 ;

6-         Evens Jeune, Ti Kouto de Cité Soleil, décédé le vendredi 24 juillet 2009 ;

7-         Emmanuel Wilmé, dit Dread Wilmé de l’Opération Bagdad. En juillet 2005, il a été tué dans des affrontements impliquant les Casques bleus de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) et les unités spécialisées de la Police Nationale d’Haïti à Cité Soleil (nord de la capitale) ;

8-         René Jean Anthony, Grenn Sonnen, tué dans des affrontements avec la police à Delmas, à proximité de la route de l’aéroport, le 10 avril 2005 ;

9-         Robenson Thomas, Labanyè, abattu dans la soirée du 30 mars 2005 ;

10-       Ronald Camille, Kadav de Delmas 4 jusqu’à l’APN, mort en prison, en décembre 2004 (2) .

Donc, l’État à l’impérieuse obligation d’établir un climat de sécurité pour s’assurer du bien-être collectif de la population. Pratiquer les techniques d’éliminer ou de contribuer à éliminer des gangs armés n’est pas la vraie solution. Nous l’avons déjà essayé en maintes occasion.

Dans ses recherches fondées sur la criminalité, Marc Le Blanc (1997) propose quatre mécanismes de la régulation dans la lutte contre les crimes :

Premièrement, il soutient que le taux de la délinquance s’accroît, si l’organisation sociale est déficiente, c’est-à-dire, s’il existe une dégradation des réseaux sociaux et de la régulation informelle par les relations interpersonnelles. Cette première considération nous laisse comprendre que l’augmentation du phénomène de la criminalité à (en) Haïti au cours de ces derniers jours est due à un désordre généralisé au niveau de la société. C’est également l’incapacité de nos acteurs politiques ou pour mieux dire, des autorités de l’État haïtien de mesurer les conséquences néfastes de l’utilisation des réseaux sociaux comme courroie de publication et de fabrication de toutes sortes de crimes au niveau du territoire national. En effet, nous nous demandons, combien de ‘’gangs’’ qui se sont exposés sur les réseaux sociaux, soit pour menacer des paisibles citoyens, soit pour montrer à l’œil nu des armes et des munitions qu’ils possèdent dans l’accomplissement de leurs œuvres malhonnêtes, soit pour interroger des agents de la Police Nationale d’Haïti (Le cas du jeune policier, Rubbs, humilié à travers les réseaux sociaux sous l’interrogatoire du chef de ‘’gang’’ ‘’Lanmò 100 jour’’ à Village de Dieu) ? Aucune loi jusqu’à date n’est prise par le législateur haïtien pour éradiquer ce mal. Il nous faut des lois qui punissent les mauvais agissements sur les réseaux sociaux à (en) Haïti.

Deuxièmement, si l’organisation culturelle est anomique, c’est-à-dire si les normes et les valeurs ont perdu leur pouvoir de contrainte. À cela, nous constater une décadence liée à la culture haïtienne. Tout fonctionne de manière anormale dans le pays : L’Église, la Presse, l’École, l’Université, les Institutions républicaines, etc. Donc, comment interpréter le comportement du prétendu chef de ‘’gang’’ Odma face à la réalité culturelle nationale ? Les autorités politiques et économiques haïtiennes, n’agissent pas de manière contraire à ce que nous sommes comme peuple en armant des jeunes des quartiers précaires du pays au lieu de leur donner des écoles classiques, professionnelles et des universités ? Si cela se faisait, Odma et bien d’autres encore ne connaitraient pas ces pires moments de leur existence humaine.

Troisièmement, si les opportunités délinquantes sont nombreuses, particulièrement celles qui sont d’une nature criminelle. Cette troisième dimension se traduit par le fait, entre autres, que le mode de construction anarchique sous lequel évolue le peuple haïtien, entraine sans ambages, la nature des crimes sur le territoire national. De Cité soleil en passant par carrefour Droullard, Delma 2, Village de Dieu, Martissant pour ne citer que ces zones-là, le pays semble même offrir des opportunités délinquantes. Le manque d’école primaire, secondaire, professionnelle et des universités dans ces zones, ne favorise qu’un élan considérable et qu’une accélération exponentielle du taux de criminalité sur le territoire nationale. À cela, l’État doit insérer dans sa politique publique des logements décents pour permettre une libre circulation des citoyens au niveau de la société.

Quatrièmement, si les instruments d‘application des règles sont inefficaces, (police, tribunaux, services correctionnels). En plus, les faiblesses de ces mécanismes de la régulation sont accentuées, si la communauté est détériorée physiquement et si elle se situe au bas de l’échelle sociale. En effet, la justice bancale haïtienne est loin d’être capable de mettre sous les verrous les prétendus ‘’gangs’’ qui sèment la terreur et le deuil sur l’ensemble du territoire national. La dépendance du système judiciaire haïtien à l’exécutif affaiblit les attributions des acteurs judiciaires, à un point tel qu’ils sont incapables de mener à bien leur mission.

L’instrumentalisation de la police par le gouvernement à des fins politiques, où les acteurs économiques, les principaux artisans du pouvoir politique haïtien contrôlent tout en leur faveur. L’incapacité des services haïtiens de contrôle de criminalité pour cause politique et de manque de professionnalisme, ne contribue qu’à augmenter le taux de victime lié à la criminalité.

Donc, nous déduisons que le fait pour le gouvernement en place de procéder à éliminer des chefs de gangs dans le pays sans pouvoir vraiment renforcer les institutions destinées à établir la paix au niveau de la société, est une activité sans vie. La fusillade des gangs armés ne résoudra point le problème. Il faudra rechercher les causes occasionnelles et fondamentales du phénomène de la gangstérisation en Haïti. Mais, ce phénomène, n’est-il pas profitable au gouvernement ou à l’opposition ? N’existe-il pas d’autres formes de présumé chef de gang dans le pays ? Le peuple haïtien, n’en est-il pas la principale victime ?

Auteur: Delcarme BOLIVARD, 31/01/2021