La police tire sans ménagement sur des manifestants qui réclament le départ du Président Jovenel Moise dont le mandat arrive à terme dans quelques jours. L’occasion pour le professeur de droit constitutionnel, Me Sonet Saint-Louis, de monter au créneau pour rappeler le rôle constitutionnel des forces de l’ordre qui est de veiller sur le respect des droits et des libertés du citoyen.

Montréal, https://www.lemiroirinfo.ca, samedi 06 Février 2021

La loi créant la Police nationale d’Haïti n’est pas une loi ordinaire : elle est constitutionnelle. Les agents de la force publique, que ce soient les policiers ou les soldats, ont l’obligation de se soumettre à la Constitution et de la Loi.

Notre système démocratique est caractérisé par la primauté du droit. La prééminence de la règle de droit. Ce principe témoin de l’État de droit veut que tous soient soumis à la loi. Dans l’appareil étatique, nul n’échappe aux rigueurs de la loi et de la Constitution : ni le président, ni les hauts fonctionnaires de l’État, ni les forces armées et de police, ni les membres du Parlement ni le Corps judiciaire. Ces hauts dignitaires n’ont pas de pouvoirs que ceux qui lui sont attribués par la Constitution et par la loi.

Ce principe qui vaut pour l’ensemble du pays, est le fondement de notre Constitution. Ce qui fait que ces derniers temps, les agents de la force publique, en réprimant avec violence les manifestations des rues organisées par les citoyens contre la gestion calamiteuse de l’actuelle équipe gouvernementale, se sont montrés peu professionnels et leurs actions démesurées mettent en danger les droits des citoyens.

Ces policiers fautifs doivent savoir qu’ils sont responsables devant la loi et ne peuvent pas y échapper. Pas plus qu’ils n’ont le droit d’usurper des pouvoirs qu’ils n’ont pas. Aussi est-il bon de rappeler ici que les articles 3, 7 al. 1, 8 de la loi créant la Police nationale font obligation aux policiers de respecter et faire respecter les droits et les libertés individuelles qui y sont énoncés.

Le droit à la vie

La police est une institution républicaine. Dans le cadre de sa mission de garante de l’ordre public, elle doit travailler en toute indépendance. Ce principe, même s’il n’est pas consacré par la Constitution, reste associé au principe de la primauté du droit. Car, les agents de la police ne peuvent pas exécuter un ordre manifestement illégal, même venant de son supérieur hiérarchique ou des autorités politiques faisant partie du Conseil supérieur de la police national (CSPN).

Si les membres du gouvernement sont justiciables devant la Haute cour de justice, la police, elle, est tenue de répondre de ses actes devant les tribunaux de droit commun. Les policiers, en acceptant d’exécuter un ordre manifestement illégal, engagent leur propre responsabilité. Il en est de même pour les membres du haut État-major de la police et ceux du gouvernement qui donnent des directives à la police. Ceux-ci sont eux aussi tenus de répondre de la conduite de celle-ci. De ce fait, les principes de la responsabilité individuelle sont posés pour s’assurer que tous ceux qui contribuent à la commission du crime, soient tenus pour responsables. Ce principe développé en droit pénal international considère qu’outre les personnes qui ont commis les crimes, celles qui en ont donné l’ordre, sont tout aussi responsables en tant que complices.

Les responsables de police ou les directeurs départementaux de cette institution ne doivent pas faillir à leur devoir de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir et protéger les droits des citoyens à l’occasion des manifestations, notamment le droit à la vie. En cas de faillite, ils ne peuvent prétexter l’ignorance devant les tribunaux. À chaque fois qu’un agent de la police commet un crime ou une violation des droits humains, son supérieur doit le livrer à la justice afin de dissuader d’autres potentiels criminels. La police nationale est l’une des institutions destinées, à côté de la justice, à la mise en œuvre de l’État de droit.

La loi créant la Police nationale est constitutionnelle. Elle fait partie de la loi suprême du pays. Elle s’applique à tous. Ceux qui la violent doivent accepter la pleine responsabilité de leurs actes et en assumer les conséquences sur le plan légal ou politique.

Nous avons une Constitution et c’est elle qui doit inspirer la conduite des policiers. Elle détermine les limites des pouvoirs et garantit les droits de tout un chacun. C’est devant elle que nous avons l’obligation de répondre. La protection des droits fondamentaux comme principe constitutionnel trouve son fondement dans l’article 19 qui dispose que l’État a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens, sans distinction, conformément à la déclaration universelle des droits de l’homme.

Le devoir de tout citoyen est de respecter la Constitution. (Art 52-1 de la Constitution). Il en est de même pour tout policier. Les policiers, comme le citoyen, ont l’obligation de respecter la loi.

L’Exécutif n’a pas de fonction législative

De l’anonyme au Chef de l’État, tous sont soumis à la Constitution et se doivent de la respecter. Ceci dit, cette observation fondamentale est aussi valable pour les citoyens, membres du comité indépendant pour la rédaction de la nouvelle Constitution. Leur participation à cet acte de forfaiture contre la loi suprême du pays les met en situation de rébellion contre la société.

Il doit être clair pour tout le monde que la Constitution reconnaît que les pouvoirs exécutif et législatif ne peuvent proposer que des amendements au texte constitutionnel suivant la procédure tracée en pareil cas (Art. 282 de la Constitution).

Depuis janvier 2020, le Parlement étant dysfonctionnel, cette procédure se révèle dans les circonstances actuelles irréalisables. D’un point de vue juridique, il est inadmissible que l’Exécutif s’approprie des fonctions législatives. Notre loi fondamentale l’interdit purement et simplement. Donc, la question n’est pas de savoir ou de se demander si les décrets pris par cette équipe modifiant les lois existantes sont bons ou pas, ou encore la Constitution qu’ils comptent imposer au pays est excellente ou non, il faut se demander de préférence d’où vient le pouvoir que le gouvernement en fin de mandat s’octroie pour légiférer et changer la loi fondamentale du pays ? Si ce débat perdure encore dans notre société, c’est parce que la presse haïtienne est irresponsable.

La constitution exige que le choix du commandant de la Police nationale soit approuvé  par le Sénat. L’actuel DG de la police est dans une insécurité juridique du fait que son choix n’a pas été ratifié par le Sénat. C’est une situation délicate à laquelle la police doit réfléchir. En anéantissant tout, notamment le parlement, l’équipe en place joue gros. Le Président de la république ne peut pas bénéficier de la compétence du parlement, ce dernier étant absent, ce qui traduit un manquement grave du Président.

La Constitution exige que les élections aient lieu tous les quatre ans pour renouveler la chambre des députés (Art. 92), tous les deux ans pour un tiers du Sénat (Art. 95-3). Chaque citoyen a le droit d’avoir son représentant élu au parlement, de manière à ce que le gouvernement rende compte de ses activités (Art.156 et 223 de la Constitution). La Constitution ne prévoit pas qu’un élu puisse rester au pouvoir après l’expiration de son mandat populaire. C’est pourquoi aucune instance étatique ne peut, sous réserve de sanctions, appliquer les décisions des autorités illégitimes. Donc, au delà du 7 février 2021, les autorités gouvernementales en place n’auront aucune relation avec l’administration publique haïtienne. Si elles restent en place, elles seront dans une logique de coup d’État, une situation totalement contraire à l’État de droit, ce que la population haïtienne n’est pas prête à tolérer.

Dans une république comme la nôtre, fondée sur les principes de l’État, ce n’est pas la volonté des autorités qui prime : ce sont les règles et les valeurs républicaines qui prévalent. Les agents de la force publique ont le choix entre d’apporter sa contribution à la répression mise en place par les autorités gouvernementales, donc, devenir une police politique au service d’une cause politique, ou éviter les dérives fonctionnelles en  obéissant à l’autorité de la Constitution et la règle de droit.

Au point de vue constitutionnel le combat du peuple est achevé dans la mesure où ses droits sont proclamés. Mais au bout de cette bataille pour le respect de ceux-ci, à chacun sa grandeur, à chacun à sa bravoure, à chacun ses responsabilités. Les bourreaux répondront de leurs actes, tout est une question de temps.

De plus, la police n’a aucun intérêt à soutenir un régime aussi décrié et qui, tôt ou tard, devant la révolte générale, finira par plier bagage. C’est pour elle un risque trop élevé de s’engager dans une aventure aussi destructrice que suicidaire. Mon texte est donc adressé aux policiers afin que ceux-ci ne prétextent l’ignorance.

Auteur : Sonet Saint-Louis av, Professeur de droit constitutionnel, Montréal, 4 février 2021, Sonet43@hotmail.com