Parmi les ministères régaliens de la République d’Haïti se trouvent le ministère des Affaires Étrangères et des cultes et celui de l’Économie et des Finances. Les deux ressortent de l’architecture gouvernementale. Par ailleurs, par décret du 8 septembre 2004, il a été créé, à l’article 1er, un bras institutionnel à la justice, dont la dénomination est l’Unité de Lutte contre la Corruption(ULCC), dans le but de limiter la propagation de la corruption dans l’administration publique.
Ce bras institutionnel joue un rôle fondamental, à titre préventif et répressif, dans l’éradication de la corruption. Pour rappel, le produit du trafic illicite de stupéfiants peut faire facilement son intrusion dans la corruption.
Ce double rôle est institué par le législateur français à travers la combinaison de trois institutions : le Tracfin, l’Agence française Anticorruption (AFA) et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ( HATVP).
En effet, dans un communiqué de presse en date du 21 décembre 2019, le ministère des affaires étrangères et des cultes a réprouvé la compétence du Directeur Général de l’ULCC pour avoir engagé l’avis de recherches contre les membres diplomatiques et d’un poste consulaire d’Haïti en République dominicaine.
Ainsi, le Directeur Général de l’ULCC, en la personne du fougueux et ancien commissaire du gouvernement Claudy GASSANT, a convoqué à son bureau le ministre haïtien des Affaires Étrangères et des cultes pour un entretien afin de s’enquérir des informations utiles dans le cadre du traitement de ce dossier.
Comme sa fonction, le ministre a tapé diplomatiquement le DG sur les doigts en l’invitant à procéder à une relecture du décret de 2004, tout en le rappelant que tout avis de recherches est tributaire de la mise en mouvement de l’action publique.
Ce déchirement interministériel justifierait-il l’illusion du Pouvoir dans la démarche de la lutte contre la corruption?
D’emblée, il convient de rappeler que le DG de l’ULCC est soumis au contrôle hiérarchique du ministre de l’Économie et des Finances. De ce fait, il serait compréhensible que le chancelier haïtien s’adresse à son homologue pour attirer l’attention de son subordonné sur ses actes « nuisibles » à la bonne gouvernance. Ç’a aurait été la preuve d’élégance et de cohérence gouvernementales. Outre cette incohérence gouvernementale, il importe de constater la mauvaise lecture du décret de 2004 par le MAE sous deux angles.
I- Les diplomates: des fonctionnaires en pays d’accueil
Pour mémoire, la sphère de compétence du DG de l’ULCC se cantonne dans la corruption exercée dans la fonction publique. À ce titre, une société privée ne peut faire l’objet de poursuites administratives/ou judiciaires de l’ULCC sans démontrer le détournement des biens de l’État, dont la gestion serait assurée par ladite société.
En outre, le fonctionnaire peut s’entendre comme toute personne travaillant à titre de titulaire, qui fournit ses compétences dans une institution de la fonction publique. Sur le plan factuel, le prolongement de ce statut peut s’analyser dans les missions diplomatiques à l’étranger puisque tout diplomate est soumis au règlement de contrôle d’une institution républicaine.
Ainsi, il s’agirait d’un fonctionnaire de fait, qui ouvre la voie de compétence de l’intervention de l’ULCC au regard du dernier considérant et de l’article 2 du décret du 8 septembre 2004.
En l’espèce, il est logique qu’un membre diplomatique qui assure la gestion et la manipulation des fonds de l’État, même en terre étrangère, relève du contrôle de l’ULCC en matière de lutte contre la corruption.
Donc, l’agissement du Directeur Général de l’ULCC à l’encontre des membres diplomatiques n’est entaché d’aucune illégalité au regard dudit décret.
Donc, le ministre haïtien des Affaires Étrangères et des cultes méconnaît malheureusement ce décret.
II- Le DG de l’ULCC : un officier de police judiciaire à part entière
Si l’alinéa 5 de l’article 7 du décret de 2004 fait du DG de l’ULCC l’auxiliaire de la justice, il n’en demeure pas moins que la combinaison des articles 11 et 12 lui donnent la casquette d’un vrai Officier de Police Judiciaire (OPJ). Car, une perquisition peut être effectuée à son initiative personnelle en cas de soupçon de corruption sur une personne déterminée.
Au vrai, la véritable mission du DG est d’assurer la transmission du dossier sur lequel est exercée une enquête en cas de soupçon de corruption. En revanche, le deuxième alinéa de l’article 11 dudit décret lui permet de procéder à la recherche des auteurs de toutes infractions de corruption, dont le blanchiment.
À ce titre, il importe de retenir deux choses importantes: d’une part, le DG de l’ULCC est un OPJ indépendant n’agissant pas sous la houlette des autorités judiciaires dans le cadre de son enquête administrative, et il dispose d’un large pouvoir d’appréciation, d’autre part, puisqu’il n’est pas soumis au principe de la confidentialité, étant précisé que l’article 9 du décret 2004 énonce une possibilité mais non pas une obligation de confidentialité.
Ainsi, l’exercice de son contrôle n’est tributaire d’aucune poursuite pénale. Donc, le MAE a malheureusement mésinterprété les articles 18 et 19 du décret du 8 septembre 2004.
De plus, le pouvoir étendu du DG voit son prolongement en matière juridictionnelle puisque l’article 1 du décret lui permet de répandre ses actes partout sur le territoire de la République. Malheureusement, le législateur n’est jamais intervenu pour établir la procédure d’audition des ministres dans le cadre de la mission du DG de l’ULCC.
Bien que l’humilité politique et l’harmonie gouvernementale puissent orienter la sagesse du DG pour solliciter l’entretien d’un ministre à son bureau, ce dernier ne se heurte à aucune restriction législative ou réglementaire qui l’aurait empêché de demander à un ministre de VENIR FAIRE LA QUEUE à son bureau pour l’auditionner.
Au vrai, le texte doit être revu par le législateur puisqu’il est illogique que le DG, subordonné du ministre de l’Économie et des Finances, demanderait à son propre supérieur hiérarchique de se présenter à son bureau dans le cadre d’une enquête en cas de soupçon de corruption.
À la lumière de la Convention de vienne de 1961, il ne serait pas excessif si Me. Claudy GASSANT considérait tout poste consulaire comme le prolongement du territoire haïtien. Ainsi, tous membres des consulats haïtiens à l’étranger, dont la République dominicaine, sont soumis à l’application du décret du 8 septembre 2004 en cas de soupçon de corruption ou autres infractions constituant des sources de corruption, comme le trafic illicite de stupéfiants.
L’intronisation du magistrat Claudy GASSANT à la fonction de Directeur Général de l’ULCC semblerait beaucoup plus gênant pour le pouvoir que de lui être utile; un pouvoir qui se dit pourtant à la chasse des racines de la corruption au sein de la fonction publique.
Me. Guerby BLAISE, Avocat
Enseignant-Chercheur en Droit pénal et Procédure pénale
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