
Montréal, https://www.lemiroirinfo.ca, Mercredi 02 Juin 2021
Je viens de prendre connaissance d’une lettre du Chef du Parquet de Petit-Goave invitant le député Jean Danton Léger à se présenter devant lui au Parquet de cette juridiction, le vendredi 4 juin 2021 « sur plainte de la société ». Cette convocation a rapport avec des déclarations hostiles au référendum que l’ancien parlementaire a faites quelques jours plus tôt. Dans une vidéo tournée en boucle sur les réseaux sociaux, l’ancien élu avait menacé de recourir à la violence armée pour empêcher la tenue du référendum présidentiel illégal.
Réagissant à cette plainte, Me Guerby Blaise, expert en droit pénal, a déclaré ceci : « Je suis contre la violence mais c’est une folie de prétendre poursuivre Danton Léger pour la seule détention d’armes blanches en raison de l’absence d’élément matériel. Ses déclarations ne constituent pas de menaces puisqu’elles ne visent pas une personne bien déterminée. »
Sans être en désaccord avec Dr. Blaise, j’estime que la question n’est pas pénale mais constitutionnelle. Pour comprendre les actions posées par Me Dantor Léger et toutes celles qui seront produites ultérieurement dans le cadre de la défense de la Constitution mise à mal par le régime en place, nous devons savoir à qui appartiennent l’État et la Constitution qui lui donne sa forme.
L’appareil d’État et de la Constitution ne sont pas la propriété des gouvernants. Ceux-ci ne sont pas non plus les maîtres du pouvoir qu’ils détiennent car ils l’assument par délégation. Dans l’exercice de leurs fonctions, ils doivent respecter scrupuleusement la Constitution et les lois fixant leurs attributions.
La Constitution de 1987 appartient au peuple haïtien pour l’avoir écrite par procuration et proclamée. L’État, la Constitution de même que les institutions que celle-ci crée, sont les biens du peuple. Ce dernier a l’obligation de les défendre par n’importe quel moyen, y compris le recours à la lutte armée. Défendre la Constitution au termes de l’article 52 est une obligation constitutionnelle pour tous les citoyens.
Ce n’est pas Me Danton Léger qui est en infraction à la loi, même s’il menace d’utiliser son arme contre ceux qui veulent abolir la loi du Souverain. Le fautif est celui qui ne respecte pas la Constitution. Dans notre système de gouvernement, il est établi les décisions des gouvernants prises au nom de l’État, doivent être conformes à la Constitution.
Si Me Léger est obligé de monter la garde en constatant que son pays avance vers la catastrophe, c’est parce que les institutions garantes de la Constitution – le Parlement et la Cour de cassation – ont failli à leur mission.
Hormis les sénateurs Patrice Dumont et Joseph Lambert qui ont défendu le principe du respect de la Constitution et de sa procédure d’amendement, les autres par leur lâche complaisance se sont rendus complices et coupables de crime de haute trahison contre la la Loi-mère.
Institution établie par la Constitution, la Cour de cassation qui est l’organe régulateur des activités des pouvoirs publics, a aussi manqué à son devoir. Étant donné que le Conseil constitutionnel prévu par les amendements de 2011 n’a jamais été mis en place, il revient à la Cour de cassation d’assurer la suprématie de la Constitution et la règle de droit. En tant qu’instance judiciaire suprême, cette Cour a l’impérieuse obligation de répondre à la nécessité de faire respecter les normes établies par la Loi fondamentale et de sanctionner toute violation de l’ordre constitutionnel, et ce, même à l’encontre de la volonté exprimée par l’État.
En s’accaparant d’un pouvoir qui appartient au peuple, le Président de facto Jovenel Moïse se substitue au souverain. En confiant à un Comité la mission de rédiger une Charte fondamentale pour régler ses affaires personnelles et en créant un Conseil électoral pour implémenter son action, il a anéanti les fondements constitutionnels et idéologiques de l’État. On est en face d’un système étatique autoritaire.
Le Président de la République n’est pas investi d’un pouvoir divin. Donc Jovenel Moïse et ses complices seront amenés à répondre de leurs manquements à leurs devoirs vis-à-vis du peuple haïtien. Il est bon de rappeler aux gouvernants actuels, qu’ils soient président de la République, ministres, parlementaires et juges de la Cour de cassation que les actes de violation de la Constitution peuvent être sanctionnés. Les membres du Comité consultatif indépendant (CCI), du Conseil électoral provisoire (CEP) ainsi que ceux du haut d’État-major de la police encourent le même risque. Aussi doivent-ils se garder de toute participation à une action visant à anéantir l’ordre constitutionnel.
De même qu’il est de mon devoir de rappeler aux hommes et aux femmes d’affaires, aux secteurs de la presse etc. qu’ils ne doivent pas collaborer avec les auteurs d’un acte illicite ni en tirer profit. Toute promotion en faveur d’une décision qui viole une quelconque disposition constitutionnelle, est interdite et en conséquence punissable. Toute presse, toute entreprise qui, dans un sens ou dans un autre, aurait sous prétexte de publicité, de vente de services matériels ou intellectuels, un agissement contraire, commettrait une infraction contre l’ordre constitutionnel établi.
Nous sommes dans une société de droit dans laquelle les gouvernants et les gouvernés ont l’obligation de se soumettre à la règle de droit. Les entreprises ont la responsabilité de produire des biens et services et réaliser des profits dans un cadre licite. Elles ne peuvent pas oublier ou négliger leurs responsabilités légales sous peine d’être sanctionnées. En conséquence, l’argent détourné par le pouvoir dans cette entreprise illégale devra tôt ou tard être récupéré par le Trésor public. La justice doit se préparer à poursuivre ceux qui sont impliqués dans cette vaste opération de détournements de fonds publics au préjudice de la nation. Demain, personne ne pourra prétexter l’ignorance vu le nombre d’avertissements lancés par les organisations de la société civile en général et les experts en droit en particulier.
L’action de Me Dantor Léger d’empêcher cette démarche par les moyens dont il dispose, est constitutionnelle. Tenter de déjouer l’imposture, fait partie de son devoir de citoyen. C’est quand même regrettable que ce soient les citoyens qui interviennent à la place des deux autres pouvoirs publics pour faire obstacle à l’abolition du texte constitutionnel alors que le peuple leur avait justement confié cette responsabilité. C’est un constat d’une immense faillite.
En ce qui concerne la question constitutionnelle, j’ai souligné plusieurs fois que le Président Moïse ne peut plus intervenir dans un temps qui n’existe plus. Le temps qu’il a eu pour apporter des propositions de révision de la Constitution, a expiré. Ce n’est pas un président qui a prêté serment sur la Constitution qui peut la changer. Il ne faut pas oublier qu’il avait en février 2017, lors de son investiture, juré de « la respecter et de la faire respecter ». Le président Jovenel Moïse, pour n’avoir pas fait de suggestions d’amendement dans le délai constitutionnel prévu, reconnaît que le texte constitutionnel est conforme à notre évolution et admet du même coup sa perfection.
Le fait que la Constitution reconnaisse aux pouvoirs publics la faculté de la modifier prouve qu’elle admet n’être pas parfaite, par conséquent elle est ouverte aux adaptations nécessaires. C’est la raison pour laquelle les Constituants avaient prévu à cette fin une procédure bien ficelée. Mais seul un gouvernement issu d’un ordre constitutionnel rompu, pourra opérer des changements, si le peuple, l’auteur de la Constitution, le souhaiterait.
En réponse à la protestation citoyenne, le pouvoir se doit d’avoir une attitude raisonnée et raisonnable afin d’éviter une escalade qui pourrait être très difficile à gérer. Il devrait plutôt éviter d’intimider l’ancien élu de Léogane en utilisant l’arme judiciaire. Jovenel Moïse doit comprendre qu’il est impossible d’organiser un référendum sur la Constitution rejetée par les citoyens. Tout comme il est impensable que des élections, contestées à l’avance, puissent se tenir cette année. Ce qu’il devrait plutôt faire, c’est aménager un espace de compromis pour faciliter la mise en place d’un gouvernement de transition.
Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel, Faculté de droit, Université d’État
Québec, Canada
sonet.saintlouis@gmail.com
Tel 37368310/42106723
One thought on “Les experts en droit pénal opinent et précisent les prétentions de l’accusé et des autorités judiciaires”
Comments are closed.