Maitre Pierre-Stanley Pérono est avocat en droit des sociétés et spécialisé dans les fusions-acquisitions. Mais il est aussi passionné par l’espace, ses enjeux en matière diplomatique, en droit international et sur la géopolitique mondiale. Il est coauteur de l’ouvrage « Les nouveaux enjeux de l’Espace » paru chez VA Editions. Il y développe la complexité des rapports de forces entre les Etats à la conquête de l’espace. Véritable connaisseur, Maitre Pérono nous livre une analyse de ces nouveaux rapports de forces. Face à la conquête chinoise offensive, quel rôle pour la France?
Montréal, https://www.lemiroirinfo.ca, Vendredi 26 Février 2021
Depuis le 1er décembre 2020, la Chine s’impose dans la législation internationale en termes de droit des exportations. Faut-il craindre une potentielle loi spatiale chinoise aussi contraignante ?
La Chine a connu depuis les années 70 une avancée spectaculaire dans le spatial. On considère aujourd’hui qu’elle est la principale concurrente des États-Unis en la matière. En 2019, elle a réalisé l’exploit de faire atterrir un engin mobile sur la face cachée de la Lune. La Chine est présente dans tous les domaines de l’industrie spatiale depuis le lancement de satellites jusqu’aux programmes de vol habité. Son principal horizon est, de nos jours, Mars. En raison de son poids dans le secteur et de son ambition, il serait étonnant qu’elle ne cherche pas à peser sur la législation spatiale.
Toutefois, ses moyens d’action dans la réglementation du spatial sont plus restreints qu’en matière d’exportations. Il faut peut-être rappeler les termes de la législation chinoise en matière d’exportations depuis le 1er décembre 2020. Il s’agit d’une loi nationale, ayant des répercussions sur le système de réglementation internationale des exportations. Cette loi consiste pour la Chine à interdire des transferts de technologies de ses entreprises privées si de tels transferts ne sont pas autorisés par le gouvernement chinois, et ce, au nom de la sécurité nationale.
Une loi similaire n’est pas susceptible, à mon sens, de voir le jour dans le spatial chinois, celui-ci étant déjà et entièrement sous la coupe réglée du Parti communiste. En revanche, au nom de ses intérêts nationaux, la Chine affiche déjà une prétention nouvelle depuis quelques années qui est celle de faire modifier le droit international en matière de militarisation de l’espace. En effet, aux côtés de la Russie, la Chine propose dès 2008 un nouveau projet de traité pour compléter le Traité de 1967 sur les principes régissant la conquête de l’espace.
Il est utile de rappeler que l’article 4 du Traité de 1967 prohibe la mise en orbite d’armes nucléaires et de tout autre type d’armes de destruction massive.
Dans le projet de nouveau traité, la Chine et la Russie proposent d’élargir le spectre des armes dont la mise en orbite est interdite en y intégrant toute arme (peu importe sa nature) et en prohibant l’usage de la force contre les objets placés dans l’espace. Le nouveau projet va jusqu’à inclure dans l’interdiction les armes qui, opérant depuis le sol, seraient capables d’endommager ou de détruire un satellite.
Cette position de la Chine sur le désarmement spatial s’accompagne pourtant de la poursuite du développement par celle-ci de ses programmes de conception d’armes antisatellites. On comprend alors que sa démarche s’inscrit dans une stratégie connue : considérant que la domination américaine de l’espace pourrait également constituer un handicap pour les États-Unis, la Chine souhaiterait se ménager la possibilité de bénéficier d’un avantage asymétrique sur ce terrain. En 2019, le Congrès américain vote la création de la « Force de l’Espace ». Les Américains se dotent ainsi d’une armée spatiale capable de préserver leur domination sur ce nouveau front de guerre.
Vous développez dans votre ouvrage les limites des coopérations internationales dans l’espace. La France, en tant que puissance spatiale, a-t-elle son rôle dans la poursuite à tout prix des politiques de puissance ?
D’une certaine manière, sur le terrain des symboles et des valeurs, il est juste d’affirmer qu’à l’instar des États-Unis, la France, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a engagé une course « à tout prix » de politique de puissance spatiale.
En effet, si les États-Unis ont récupéré, via l’opération dite Paperclip, les scientifiques allemands pour en faire le fer de lance de leur programme de développement spatial, la France est également, elle aussi, allée puiser dans les ressources scientifiques du Troisième Reich. En effet, briser la logique bipolaire qui s’est fait jour dès la fin de la guerre et créer une voie où la France pourrait évoluer en toute indépendance nécessitait l’acquisition de l’arme atomique et par conséquent la création de vecteurs à même de transporter une charge utile de 500 kg sur une distance de 3000 kilomètres !
Le Général de Gaulle engage alors des discussions avec les Américains en vue d’une coopération dans ce domaine, mais au nom de leurs intérêts stratégiques, ces derniers refusent de finaliser l’accord franco-américain. Le Général décide alors de faire contre mauvaise fortune bon cœur en se tournant vers d’autres alliés. C’est alors que la France confie à une équipe d’ingénieurs franco-allemande la mission de reprendre l’étude des fusées V2 récupérées à la fin de la Seconde Guerre mondiale à l’armée allemande défaite. Dans cette opération, on verra la France procéder au recrutement de pas moins de 75 ingénieurs et techniciens allemands provenant de l’équipe de Wernher von Braun (ancien membre du Parti nazi). Sur la base des missiles V2 allemands, les travaux menés conduiront à la conception des premières fusées françaises dites Véronique lancées dès 1951. Ces fusées atteignent jusqu’à 210 kilomètres d’altitude.
La politique de puissance « à tout prix » avait imposé une telle alliance dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est critiquable.
Par la suite, la France a toujours cherché la voie de la coopération, tout en sachant avec fermeté tracer sa route, lorsque la fragilité des alliances mettait en péril ses intérêts stratégiques.
Elle a été à plusieurs reprises victime de ce caractère incertain des coopérations internationales, mais a su développer la recherche d’un équilibre entre ses intérêts stratégiques et ses valeurs. Le cas de la Station spatiale internationale (ISS) est éloquent à ce titre. En effet, face à l’instrumentalisation de ce projet par les Américains, cherchant par son biais à se garantir une mainmise sur les autres États y contribuant, la question s’est déjà posée en France d’un retrait de l’ISS. Sur cette question, la France a fait le choix de l’ouverture à l’international et a compris, à raison, qu’il ne fallait pas perdre de vue que l’ISS reste et demeure un exemple de réussite scientifique avec des retombées bénéfiques pour la France, mais aussi pour la planète entière.
La France sait aussi impulser, voire se placer en position de commande, au sein de l’Union Européenne pour faire avancer le spatial sur des projets hautement vitaux pour la planète ou l’Europe comme le programme Copernicus, programme scientifique européen de surveillance de la planète Terre et de ses écosystèmes.
Source: Journaldel’économie.fr