
Malgré ma lutte forcée et difficile de garder le mental au beau fixe en dépit de tout ce qui se passe dans le pays, je suis tombée vendredi matin, sur une nouvelle soudaine qui m’a totalement dévastée : la mort tragique de 18 enfants dans un orphelinat éclairé par des bougies ! Je ne pouvais pas y croire aux premiers moments, mais c’était bien le drame qui venait de se produire. Depuis lors, cette nouvelle contrôlait mes pensées même quand je m’efforce de l’écarter pour qu’elle ne me stresse pas davantage. Ma désolation devient plus grande quand je pense que ce désastre aurait bien pu être empêché si tout était contrôlé dans ce pays.
Cap-Haitien, https://www.lemirorinfo.ca, Samedi 22 Février 2020
Comment peut-on imaginer 18 enfants (18 ti lèzanj) mourir à cause d’un incendie dans un Orphelinat ? Où étaient les Responsables ? Comment se fait-il que ce soit seulement trois adultes qui étaient présents pour garder 65 enfants ? Pourquoi tous ces enfants dans un établissement d’accueil de deux étages ? Pourquoi ce sont eux qui devaient allumer des bougies pour se faire un peu de lumière dans leurs chambres où ils sont entassés comme des bêtes ? Où sont les extincteurs de cette maison où le risque d’incendie est très probable? Que faisait l’Administrateur de cet établissement, quand la Génératrice était tombée en panne ? Pourquoi cet orphelinat illégal fonctionnait encore quand il n’en avait plus le droit ? Quel est le rôle de l’Institut de Bien-être social et de recherche ? Toutes ces questions vertigineuses me torturent à chaque instant depuis cette tragédie.
En Haïti, les anomalies semblent normales, tout ce qui est dangereux est pris à la légère. Le sens du risque est inexistant dans le mental de l’haïtien, pas moins que le sens du contrôle, de la prévention et de la sanction chez nos dirigeants. Je ne peux compter combien de fois, je regarde toute une famille sur une motocyclette avec un enfant suspendu aux bras d’un des passagers qui vont dans des zones rurales reculées passer devant plusieurs commissariats. En fin de compte, les enfants d’Haïti ne bénéficient pas pleinement d’une politique de protection de leurs droits par l’État haïtien.
Dans les pays où les droits des enfants sont effectifs, l’État peut enlever la garde d’un enfant à ses propres parents si toutefois ceux-ci négligeraient un aspect des soins de l’enfant ou manqueraient à sa protection. Ces pays qui visent l’avenir, sont très vigilants sur la protection de l’enfance qui constitue pour eux la garantie formelle et parfaite de la continuité humaine dans le monde. Ici on dit « Timoun jodi, granmoun demen », mais il n’existe pas vraiment des mécanismes tangibles de protection des enfants. Combien de cellules d’inspection visitent la structure des écoles préscolaires et primaires à travers le pays ? Combien d’opérateurs de services sociaux visitent inopinément les ménages pour vérifier le dormir des enfants ? Et en ce qui nous concerne en ce moment, combien y a-t-il de brigades qui rôdent régulièrement autour des centres d’accueil pour le contrôle de leur fonctionnement interne.
Je ne sais si je dois être fière du fait qu’en Haïti, il existe quelque part toutes les lois, toutes les structures, tous les projets, toutes les procédures, toutes les ressources humaines adéquates, tous les fonds disponibles pour que nous ayons un pays où les conditions de vie sont plus ou moins acceptables pour des êtres humains. Mais à quoi nous ont-ils servi ces lois, ces codes, ces articles ? A rien du tout ! Ils sont plus au service des cafards dans les tiroirs qu’à notre profit collectif. Tout ceci c’est parce que l’appât du gain qui demande beaucoup de concentration distrait le regard des Responsables, tourné plutôt vers leurs vilenies au lieu de contrôler et redresser les dérives dont ils ont la charge.
Ici, il y a toujours des nominations et des installations, le plus souvent conditionnées qui se font dans les administrations publiques, mais c’est pour quel résultat en fin de compte ? Ces nouvelles têtes ne feront aucune différence en fin de compte. Il devient légitime de se demander ce que la plupart de nos Chefs font dans leurs bureaux paradisiaques pendant la journée ? Pourquoi mènent-ils un train de vie élevé à la sueur de nos fronts ou à travers nos taxes et impôts ? On a tout juste un élément de réponse, c’est tout simplement pour paraître devant les caméras et présenter leurs sympathies au peuple haïtien, aux familles des victimes après un désastre, et ainsi va la vie en attendant une énième catastrophe encore plus sévère. C’est la raison exacte pour laquelle nous avons des Leaders dans notre société. C’est, du moins, ce que leurs attitudes dénotent.
En effet, la disparition soudaine de ces 15 enfants est très dérangeante. Il y a des formes de mort qu’on ne doit souhaiter à aucune personne, même pas à ses pires ennemis, le seul fait que ce soit un « être humain ». Il y a des souffrances qui dépassent l’entendement de l’homme, encore pire pour des enfants, des enfants réunis ensembles parce que la nature leur a privés de parents naturels capables de prendre soin d’eux correctement. Je ne pense pas qu’aucun enfant soit venu au monde par hasard, c’est-à-dire, dès qu’un bébé ait pu sortir du sein de sa mère, il mérite toute l’attention digne d’un être humain car ses droits l’accompagnent pendant l’accouchement.
Ce qui me démange encore plus, ce jeudi-là, à notre rendez-vous psychologique hebdomadaire appelé « Jedi mantal », on traitait un sujet similaire : « Comment reconnaître les effets des catastrophes sur les enfants? ». Guesly MICHEL, le Psychologue en question qui animait cette causerie, a insisté sur le fait qu’un enfant est un être sensible, fragile, immature qui mérite toute l’attention du monde.
Or, ce soir même, cet incendie bien évitable et impitoyable emportait des innocents orphelins, en bas âge, et même en situation de handicap par négligence grave des adultes payés pour les protéger. Oui, je le dis haut et fort, il y a eu toute une chaine de négligences qui a emmené cette tragédie. Il a eu un manquement immédiat au sein de l’équipe, et quand je monte plus haut, il y a une omission de l’Institut de Bien-Être social, et si je vais encore plus haut, il y a eu l’incurie générale de l’État haïtien parce que la responsabilité finale incombe à l’État.
Si l’Institution de tutelle de l’IBESR le pressurait pour soumettre des rapports sur le fonctionnement légal et administratif de tous les Orphelinats dans le pays, lui-même dirigerait cette pression sur les Initiateurs des Orphelinats pour les contraindre d’être opérationnels et conformes aux exigences de sécurité et de droits humains y relatifs. Si l’État avait une politique publique visant le souci de résultat et de sanction pour tous et pour toutes les Institutions du pays, je suis sûre que beaucoup de dérives auraient pu être épargnées.
Mais, étant donné qu’on patauge dans le « Tout voum se do », vivre dans ce pays, c’est se familiariser avec la mort chaque jour, car l’insécurité se présente sous toutes les formes: Pas d’hôpitaux, pas de pompiers, pas de prisons conformes, pas de rapidité ni de qualité dans les services dans tous les secteurs, etc.. Élever des enfants en Haïti, c’est avoir quatre yeux qui regardent discrètement partout au même moment, parce qu’il y a toujours un danger tout près. Le redoublement de vigilance et de responsabilité personnelle doit devenir une condition sine qua non, parce qu’on est en mode«Chak koukou klere pou je w ».
Voici un exemple qui fait que chaque citoyen ne doit pas oublier qu’à n’importe quel moment, quelque chose peut lui arriver. Un soir, je marchais normalement dans une rue peu éclairée par des panneaux solaires distancés l’un de l’autre, et qui devient plus lumineuse à chaque fois qu’un véhicule passe. C’est ainsi que sans avoir jamais eu cette idée, je suis tombée dans un gouffre. Heureusement, c’est une jambe qui y était, mais je n’en suis pas sortie sans une blessure au pied et à la main, aidée par un passant. Et ce trou est là dans la rue depuis un bon laps de temps dit-on. Et pourtant il y a un service de TPTC dans la ville. Plusieurs fois aussi, je vois des voitures collées ou tombées dans des gouffres au milieu des chaussées.
Tous ces manquements accumulés, parfois très graves, que nous acceptons tous, m’obligent à me demander : qui sommes-nous ? Et que va-t-il se passer ? C’est la fin de quoi qui s’approche ? Est-ce que nous n’allons pas tous disparaitre ensemble un de ces jours ? Est-ce que toutes ces tergiversations régulières arrivent par hasard ? Je ne comprends rien. Je ne comprends rien, aussi bien dans l’attitude du peuple prêt pour le Carnaval par ces temps qui courent, et après avoir passé trois mois cloitrés chez eux pendant le pays lock, que dans l’attitude des Dirigeants qui ont les solutions à tous nos problèmes. Pour combien de temps encore, notre pays va-t-il fonctionner de cette manière, tandis que tout le monde s’en fiche?
Les droits des enfants sont les droits de l’homme
La mort de ces 18 enfants à l’orphelinat « Compréhension de la bible » est une violation flagrante des droits humains de l’enfant comme toutes les omissions quotidiennes des Responsables qui se font dans le pays. Les Droits de l’homme sont les droits inhérents, inaliénables et universels à tous les êtres humains.
C’est-à-dire quels que soient leur nationalité, lieu de résidence, sexe, âge, orientation sexuelle, origine ethnique, religion, langue ou toute autre condition, tous les hommes sont égaux en droits sans tenir compte d’aucune subjectivité, d’aucune différence. Donc, qu’il soit homosexuel, femme, enfant, en situation de handicap, non croyant, tout être humain a droit, en tout temps, et en tout lieu, à la vie, à la dignité humaine, à la santé, à l’éducation intégrale et de qualité, à la nourriture, au respect de l’intégrité physique, à la liberté.
En outre, pour assurer le respect de ces droits, la Déclaration Universelle des Droits de l’homme a été rédigée et adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies. C’est un consensus universel pour le combat en faveur des droits humains. C’est un texte long, intégral adopté à Paris le 10 décembre 1948 qui dans son préambule est définie comme « un idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ». L’article 1er de cette déclaration stipule : «Tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en droits et en dignité. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité Et l’article 2 stipule : *Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. C’est-à-dire que ces pauvres enfants infortunés étaient d’une manière tout à fait sûre victimes de l’irrespect de leurs droits humains à plusieurs égards.
Pour rendre plus explicite ce que je défends, laissez-moi d’abord démontrer ce que c’est qu’un enfant et rappeler toutes les promesses d’Haïti par rapport à la protection des droits de l’enfant.
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) l’enfance est la période de la vie humaine allant de la naissance à 18 ans. Pour les psychologues, l’enfance désigne la période de la vie allant de la naissance à la puberté caractérisée par l’immaturité et la fragilité. L’enfant dépend donc de l’adulte qui assurera son développement, sa protection et sa sociabilité. Ainsi, la Constitution haïtienne, du 29 Mars 1987 amendée, garantit la protection de l’enfant dans son intégralité et sans distinction, c’est-à-dire, que l’enfant soit orphelin, ou non, qu’il soit de famille aisée ou modeste, il a droit à une surveillance bienveillante en tout temps et en tout lieu. L`article 261 stipule : «la loi assure la protection à tous les enfants. Tout enfant a droit à l`amour, à l`affection, à la compréhension et aux soins moraux et matériels de son père et de sa mère».
Par ailleurs, un Orphelinat est un centre qui accueille des enfants orphelins. En ce sens, il devrait devenir automatiquement une famille à part entière pour les enfants accueillis. Ce qui revient à dire que les nouveaux parents de ces enfants sont les responsables de ce centre. Ces parents ont donc violé, le soir du 12 février, les droits fondamentaux de tous ces enfants, en dormant comme un éléphant, pendant que leur chambre faisait noire comme un four.
De plus, le décret du 4 Novembre 1983 paru dans le moniteur le 24 Novembre 1983 a instauré l’Institut du Bien-être Social et de Recherche appelé (IBESR), qui est un organisme déconcentré technique du Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST) comme un organisme d’avant-garde pour la protection de l`enfant. L’IBESR a une mission à la fois préventive, curative, d’assistance à toutes les couches vulnérables de la société précisément les enfants. En ce qui a trait à la protection directe de l’enfant dans les orphelinats, l’institut de Bien-être social a une mission spécifique. Il doit contrôler : la légalité, la sureté et la sécurité des établissements œuvrant à la protection, à l’accueil des enfants. Il doit étudier les demandes d’autorisation de fonctionnement des œuvres sociales privées et s’assurer de recevoir d’elles un rapport détaillé de leurs activités.
Ensuite, l’arrêté présidentiel du 22 décembre 1971 sur les maisons d’enfants paru dans le journal le Moniteur No 16 du 16 mars 1972 stipule clairement que: «Toute maison d’enfants, publique ou privée, laïque ou religieuse, soit, pour fonctionner, doit obtenir préalablement l’autorisation du Service des Œuvres Sociales de la secrétairerie d’État des Affaires Sociales». Cependant, madame Arielle Jeanty VILLDROUIN, Directrice de l’IBESR, a déclaré sans broncher que l’orphelinat théâtre du drame en question n’avait plus d’autorisation depuis 2013 pour fonctionner et que sur les 700 qui existent dans le pays, il n’y a que 35 qui sont légalement conformes. Je me demande comment a-t-elle pu faire une telle déclaration publiquement, quand son travail est de régler tout ça. La seule différence avec elle, c’est qu’elle a le courage de reconnaitre qu’elle n’avait pas fait tout son travail, peut-être parce qu’elle était dépassée par le fourmillement excessif des orphelinats éparses. D’autres Directeurs auraient déclaré sans hésiter que ces établissements sont parfaitement en bon état de fonctionnement. Mais dans tout pays où l’état de droit est bien établi, elle serait déjà demise de ses fonctions.
Outre la Constitution haïtienne, d’autres initiatives juridiques internationales concernant Haïti, sur la protection de l’enfant n’existent que juste pour gaspiller de l’encre et du papier. Haïti a signé et ratifié plusieurs conventions internationales qui traitent du droit de l’enfant et des personnes en situation de handicap. Une fois qu’un Traité, Convention ou Accord ait été ratifié par Haïti, il fait partie intégrante de son arsenal juridique. L’article 276-2 de la Constitution haïtienne de 1987 amendée donne cette précision « Les Traités et les Accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires ». L’article 2 de la convention relative aux droits de l’enfant dont Haïti est d’accord stipule : « Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation ». Cette tragédie devrait soulever les poils sur le dos de tous les Défenseurs des droits humains dans le pays et du monde entier.
Démocratisation des droits de l’homme
Même s’il n’existe aucune volonté d’établir l’état de droit dans le pays, il faut aussi que des enseignements spécifiques soient démocratisés dans le pays. Je veux parler notamment de l’éducation aux droits humains. S’il y avait au moins un membre de l’équipe qui était imbu du droit des enfants, je suis sûre qu’il aurait revendiqué que le traitement donné à ces 65 enfants et l’administration de cet orphelinat soit humainement révisés. J’estime que le Droit de l’homme est un terme entendu par hasard par une grande frange de la population. Mais en réalité, bon nombre de personnes ne savent pas ce que c’est. L’enseignement des droits de l’homme devrait être popularisé dans toutes les Institutions publiques et privées du pays, notamment celles qui travaillent directement avec les groupes les plus vulnérables. Beaucoup de personnes parfois oublient s’ils sont eux-mêmes des êtres humains et qu’ils sont nés avec des droits qui font qu’ils méritent d’être traités d’une façon digne et qu’ils doivent aussi traiter leurs semblables en tant que tels.
Engageons-nous désormais à apprendre les leçons de nos malheurs
En définitive, Haïti rate toujours les occasions en or que chaque tragédie lui apporte. Chaque fois qu’une catastrophe arrive, c’est toujours la chance de faire un pas vers le progrès. De notre côté, nous n’apprenons jamais les leçons que les calamités apportent, au contraire nous laissons la porte ouverte à d’autres plus brutales. Beaucoup de civilisations ont été glorieusement métamorphosées à la suite d’une hécatombe. Il est temps pour nous haïtiens d’arrêter de prendre tout à la légère, d’ouvrir nos yeux sur les opportunités qu’apporte chaque désastre. Ici, c’est le moment pour l’État de réviser sa politique de protection de l’enfance. Si un pays ne protège pas ses petits-enfants, il peut passer un trait sur l’avenir. Les arrestations, licenciements, démissions après la disparition de ces 15 pauvres innocents devraient servir de prévention à toutes les entités qui travaillent avec les enfants. C’est aussi l’occasion pour les autorités d’ouvrir grand les yeux sur l’industrie des Orphelinats dans le pays, car on dirait que ces établissements causent plus de préjudices physiques et psycho-sociaux aux enfants qu’ils ne les protègent. N’oublions jamais que
TOUT TIMOUN SE TIMOUN
Rachel SAINT-JULIEN
Déléguée Nord de GRAPRODH (Groupe d’appui éducatif à la promotion des Droits humains) Membre fondatrice de MANTAL AYITI/Chanje mantalite.