Un collectif de juristes dénonce une dictature qui se dessine à travers le projet de référendum constitutionnel de Jovenel Moise, fixé pour le 27 juin prochain. Ce dit collectif lance un appel à toutes les couches sociales en vue de faire échec à ce projet visant à mettre à genoux les acquis démocratiques en Haiti.

Port-au-Prince, https://www.lemiroirinfo.ca, Lundi 29 Mars 2021

Par un Collectif de Juristes

Le Président Jovenel Moïse est techniquement dans une dictature depuis la nomination du CEP contesté le 18 septembre 2020, lequel a accepté de remplir pour lui la mission anticonstitutionnelle d’organiser un référendum bidon en vue d’imposer au pays une autre constitution de son cru et rédigée par ses conseillers. Le 9 novembre dernier il a enfoncé le clou en déclarant sur les ondes qu’il était sorti de la Constitution. Beaucoup de ses décrets anticonstitutionnels dont celui du 31 décembre 2020 organisant le référendum ne visent d’ailleurs plus la Constitution de 1987, que ce soit la version originale ou amendée. Le référendum bidon qu’il prévoit pour le 27 juin 2021 ne sera que pour formaliser cette dictature.

Quelle différence y-a-t-il entre l’élaboration de la Constitution de 1987 et le projet de constitution de Jovenel Moïse ?  

En 1987, nous avions une Assemblée Constituante librement élue pour ses 2/3 et pour son tiers restant composée de représentants des principales associations socio-professionnelles du pays, laquelle Assemblée délibérait librement et publiquement, sans oublier que la moitié environ des représentants élus étaient des juristes avec une mention spéciale pour le très grand spécialiste de Droit Public, Me Wilbert Joseph du Nord, et plus du tiers des membres nommés étaient des juristes. L’objectif était de tourner le dos à la dictature et d’élaborer une Constitution libérale. Tous les citoyens étaient libres d’apporter leur contribution aux travaux de l’Assemblée qui avaient lieu au grand jour. Dans le cas de la « constitution » du Président Moïse, il s’agit de cinq individus nommés par le Président, aux compétences questionnables pour la nature et l’ampleur de la tâche (un militaire à la retraite, deux sociologues et deux juristes), qui travaillent dans la plus complète opacité sous la dictée et selon les vues d’un unique pouvoir politique. L’objectif ici est d’élaborer sans débats publics une constitution autoritaire et de concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme. Pendant 34 ans la Constitution de 1987 a rempli sa mission de sauvegarder nos droits et libertés et nous a protégés contre une nouvelle dictature. A nous maintenant de nous rassembler tous autour d’elle, toutes familles politiques confondues pour la défendre et la préserver pour qu’elle puisse à son tour continuer à nous protéger. Après l’attaque du Capitole à Washington, le Président Joe Biden déclarait que la démocratie est fragile et qu’elle doit être défendue constamment. Les citoyens doivent rester vigilants en permanence. Il est de notre devoir à tous de faire bloc pour défendre notre démocratie menacée et faire échec au projet de dictature de Jovenel Moïse. Tout le monde va être victime de la dictature, mais elle va s’exercer en priorité sur les Haïtiens de l’intérieur, notre Diaspora vivant très majoritairement dans de grandes démocraties occidentales. 

Il est important de rappeler qu’en raison du contexte de son élaboration, la Constitution de 1987 n’est la constitution de « personne » mais de tout le peuple haïtien, et tout projet de nouvelle constitution ou de changement constitutionnel qui ne suivrait pas les procédures prévues à cet effet, seront toujours la constitution de « quelqu’un », ici la constitution de Jovenel Moïse pour ce qui nous concerne aujourd’hui.

Il faut plusieurs lectures du document pour détecter tous les pièges et toutes les chausses-trappes qui s’y trouvent. C’est une constitution de coquins écrite par des coquins pour des coquins. C’est une constitution faite sur mesure pour une dictature. Ce travail extrêmement habile et pervers, réalisé d’une main de maître, est l’expression même de « l’Effort dans le Mal ». Ce projet autoritaire de Jovenel Moïse, s’en prend globalement à l’ensemble des acquis de 1986, bien que ce dernier prétende fallacieusement vouloir au contraire les renforcer et les consolider, comme il berne d’ailleurs la Diaspora en lui faisant miroiter que son projet renforcera ses droits. Qui trompe-t-il ? Le Président Jovenel Moïse n’a rien inventé. Tous les instruments d’un pouvoir dictatorial existent longtemps avant lui et sont bien connus. Pour bâtir « sa constitution » il n’a fait que demander à ses cinq scribes de les rassembler pour lui et de les coucher sur le papier ! Quand on examine attentivement le travail des membres du dénommé « Comité Consultatif Indépendant » relativement à son contenu et à son orientation, il apparait clairement qu’ils ont œuvré selon les idées et selon la volonté du chef suivant la formule créole bien connue : « Travayè travay o gou di Mèt ».

Les « consultations » que ces gens du CCI qui n’ont aucun crédit aux yeux de l’opinion publique et qui sont perçus comme de simples agents du pouvoir, mènent auprès de certains secteurs de la société pour essayer de vendre leur projet anti-démocratique, grossier et illégitime, ne trompent personne. En maints endroits, ils se sont faits éconduire, des hôtels ont refusé d’héberger leur mascarade même s’ils peuvent payer grassement, on a refusé de les recevoir, certaines associations ont décliné ou simplement ignoré leurs invitations, certains citoyens ont plus ou moins poliment refusé de les rencontrer, on leur a ri au nez, on s’est moqué d’eux, on les a traités avec mépris en parias. D’une manière générale, leur projet de dictature est très mal accueilli, et les réactions des milieux spécialisés et du grand public ont été dans l’ensemble extrêmement négatives. Le rejet du projet est général. (Mme La Lime et les Ambassades doivent le savoir très bien à présent !) De plus, les citoyens sont contre le principe du référendum anticonstitutionnel. Les manifestants crient indifféremment : « Aba Diktati, Aba Jovenel, Aba referandòm, Aba konstitisyon chanpwèl, Aba Mathias Pierre ». Tout est mis dans le même sac.

Que personne ne s’y méprenne ! Jovenel Moïse n’organise pas son référendum pour le perdre. Son résultat est déjà prêt. Les Haïtiens ne sont pas si naïfs. Le Président Moïse va nous servir le 27 juin prochain s’il parvient à ses fins, une méga-mascarade à la Vincent, à la Duvalier, à la Lafontant. La communauté internationale qui pourtant soutient encore fermement le pouvoir autoritaire de Jovenel Moïse, ne s’est pas trompée. Soufflant le chaud et le froid, elle a fait savoir à Moïse qu’elle ne financerait pas son référendum anticonstitutionnel, ainsi que l’a annoncé lui-même tout en brandissant l’oripeau de la souveraineté, le Ministre Mathias Pierre. C’est un signal de faible intensité, ambivalent, mais très significatif envoyé par l’International à tous, gouvernants et gouvernés. À nous Haïtiens de le comprendre et d’agir. Eugénie Mérieau dans son ouvrage « La Dictature, une antithèse de la Démocratie, 20 idées reçues sur les régimes autoritaires », écrit : « La dictature s’amorce en réalité bien plus par une révision constitutionnelle que par un coup d’État militaire. Parmi ses révisions, la plus emblématique est l’abolition de la limitation du nombre de mandats présidentiels adoptée récemment au Burundi, au Tchad, en Ouganda, et au Rwanda, mais aussi en Chine. C’est ce qu’on appelle le « constitutionnalisme abusif » (David Landau), ou la pratique des « coups constitutionnels ». Tout doit être mis en œuvre pour boycotter et faire échouer cette entreprise référendaire anticonstitutionnelle et antinationale, ce coup d’État constitutionnel. Aucun citoyen conséquent ne peut prendre en toute conscience la responsabilité de collaborer au rétablissement de la dictature en Haïti, trente-cinq ans après sa chute.

Le projet Moïse dans son esprit comme dans sa lettre viole le principe juridique fondamental de l’intangibilité des droits acquis. Il ravit en effet de nombreux droits acquis dans la Constitution de 1987 pendant qu’il met en place tranquillement les mécanismes d’une nouvelle dictature. Il vise en même temps à accorder au Président de la République un pouvoir absolu sans limites comme au temps de la tyrannie de François Duvalier et à détruire dans la foulée toutes les institutions du pays. La philosophie même de ce texte est la dictature. Il se dit également que des membres d’un important cabinet d’avocats de la capitale sont étroitement associés à sa rédaction qui semble même être l’œuvre d’un seul de ces juristes qui tiendrait la plume. Ces gens auraient des liens avec un ancien Premier Ministre et seraient proches du PHTK. D’aucuns vont jusqu’à qualifier le projet Moïse de projet PHTK. Et Mme La Lime d’applaudir !

Certains affirment que les Dominicains ne seraient pas non plus étrangers au projet Moïse et auraient également leur participation dans le processus de changer illégalement la Constitution d’Haïti pour la remplacer par une autre d’essence dictatoriale. Le Président de la République lui-même a déclaré que son homologue dominicain le Président Luis Abinader patronne et soutient le projet de nouvelle constitution haïtienne et qu’il est impatient qu’il soit enfin adopté. Peu importe au Président dominicain que le référendum de Jovenel soit formellement interdit par notre Constitution actuellement en vigueur. Comment un Président dominicain peut-il déterminer et défendre à notre place l’intérêt national haïtien ? Un Président dominicain est là pour défendre l’intérêt national dominicain. Abinader le dit lui-même. Comment un homme qui comme une espèce de Donald Trump tropical décide de construire sur sa frontière une clôture de haute sécurité pour tenir les Haïtiens à l’écart de son pays, peut-il se poser en défenseur des intérêts de ces mêmes Haïtiens ? L’an dernier, des experts dominicains avaient préparé pour Haïti un projet de constitution, texte qui avait alors circulé dans les milieux diplomatiques et qui est d’ailleurs disponible sur internet, dans lequel les hommes de Jovenel ont certainement puisé. Il s’agit en fait d’une traduction maladroite de la Constitution dominicaine de 2010 en français. Le pays voisin a consommé 39 constitutions dans son histoire, les Dominicains sont donc mal placés pour donner des leçons à quiconque en la matière. Le texte des Dominicains est visiblement d’inspiration et de structures dominicaines : on y parle par exemple « d’élections qui sont célébrées ». Si l’on emploie ce terme en espagnol, on ne « célèbre » pas d’élections en français, on les tient, on les fait, on les réalise. Le texte a des « Paragraphes » indépendants au sein des articles, ce qui est une caractéristique dominicaine. Ce texte dominicain est toutefois plus structuré et bien plus démocratique que le projet Moïse, il laisse par exemple subsister le Sénat. Les Dominicains ont besoin de contrôler Haïti. Ils savent cependant très bien que la conquête et l’occupation militaires vont leur coûter un prix diplomatique, politique et financier effroyable qu’ils ne peuvent assumer. Ils se rabattent donc sur la formule plus simple qui consiste à avoir en Haïti au pouvoir un Président-dictateur omnipotent qui serait leur pantin et auquel ils passeraient des ordres. Le jeu machiavélique de Luis Abinader est clair et son intervention dans nos affaires constitutionnelles avec la complicité de Jovenel Moïse est indécente et nauséabonde. 

Nous avons relevé du commencement à la fin de l’avant-projet de la nouvelle « constitution » de Jovenel Moïse, de manière non-exhaustive un certain nombre de régressions par rapport au texte de 1987 et d’avancées vers un régime autoritaire :

 D’entrée de jeu, le culte de la personnalité est à nouveau possible, l’article 7 de la Constitution de 1987 l’interdisant disparait ainsi que l’article 7-1 qui interdit de nommer des choses du nom de personnes vivantes. C’est ainsi qu’on pourrait avoir aéroports, ponts, lycées, places, rues, avenues, marchés, cités etc… Jovenel Moïse.

L’article 17.1 de la Constitution amendée de 1987 qui prévoit le principe du quota d’au moins 30% de femmes à tous les niveaux de la vie nationale et qui est le résultat de nombreuses années de luttes et de revendications des femmes, disparait et est remplacé par une formule beaucoup plus vague portant plutôt sur le principe de parité (article 16 du projet Moïse) ;

La suppression de l’article 41 de la Constitution de 1987, interdisant la déportation forcée des Haïtiens et la déchéance des droits, telles que pratiquées sous Duvalier ;

ARTICLE 41 : Aucun individu de nationalité haïtienne ne peut être déporté ou forcé de laisser le territoire national pour quelque motif que ce soit. Nul ne peut être privé pour des motifs politiques de sa capacité juridique et de sa nationalité.

ARTICLE 41.1:  Aucun Haïtien n’a besoin de visa pour laisser le pays ou pour y revenir.

La suppression de l’article 41-1 de la Constitution de 1987 interdisant les visas d’entrée et de sortie pour les Haïtiens qui permettaient à Duvalier de garder qui il voulait en exil. C’est la mise en veilleuse de cet article en 1990 qui a d’ailleurs causé la chute du général Prosper Avril. Exil et contrôle pour la Diaspora elle aussi !

La suppression de toute la Section J sur le droit à la sécurité : la déchéance de la nationalité pour cause politique redevient donc possible.

Le Quartier n’est plus mentionné dans les subdivisions administratives du pays (sans raison aucune).

La levée de l’interdiction du référendum constitutionnel, porte ouverte à tous les abus (comme dans les pays africains).

Les garanties réduites pour les arrestations avec la réduction de la portée de l’article 24-3 de la Constitution de 1987.

La suppression de l’interdiction de l’adhésion forcée aux associations (porte ouverte à la répression politique).

La dénaturation de l’article 36.3 de la Constitution de 1987 compris en son chapitre « De la Propriété » et établissant de manière générale que la propriété, dans la globalité du terme, entraîne également des obligations et qu’il n’en peut être fait usage contraire à l’intérêt général. Or l’article 89 du projet Moïse élimine la structure initiale de ce chapitre de la Constitution de 1987, et intègre à la liste des Devoirs du Citoyen un alinéa k disposant que le citoyen a pour obligation de ne pas faire de la propriété privée un usage contraire à l’intérêt général, tout en établissant à la fin dudit article que « toute dérogation à ces obligations est punie par la loi ».  L’association ici du concept de propriété privée et d’intérêt général dont le non-respect peut aboutir à une quelconque peine ou sanction laisse présager l’établissement potentiel de certains abus.

La suppression de l’article 54 de la Constitution de 1987 libellé comme suit : « Les étrangers qui se trouvent sur le territoire de la République bénéficient de la même protection que celle qui est accordée aux Haïtiens, conformément à la loi. ». L’article 86 du projet Moïse reprend l’article 54.1 de la Constitution de 1987, mais élimine le précédent. La garantie constitutionnelle de protection égale entre étrangers et citoyens haïtiens répond aux engagements internationaux souscrits par la République d’Haïti, correspondant eux-mêmes au principe de la réciprocité établi par l’ordre public international.

La suppression des articles 55.3 et 56 de la Constitution de 1987 établissant respectivement qu’aucun étranger ne peut être propriétaire d’un immeuble borné par la frontière terrestre haïtienne et que l’étranger peut être expulsé du territoire de la République lorsqu’il s’immisce dans la vie politique du pays et dans les cas déterminés par la loi. On est en droit de s’interroger sur le pourquoi de la suppression de ces articles. (S’agit-il ici de favoriser les Dominicains ?)

La suppression de l’article 60.2 de la Constitution de 1987, tous les membres des trois pouvoirs de l’État deviennent irresponsables, donc « mineurs », l’article se lit comme suit :

ARTICLE 60.2: La responsabilité entière est attachée aux actes de chacun des trois (3) pouvoirs.

La suppression de la liberté d’enseignement avec le retrait de l’article 33 de la Constitution de 1987, principe qui existe depuis 1843 ;

La nationalisation et la confiscation des biens pour cause politique fréquente sous Duvalier redevient possible avec la suppression de l’article 36-2 de la Constitution de 1987 ;

ARTICLE 36.2: La Nationalisation et la confiscation des biens, meubles et immeubles pour causes politiques sont interdites. Nul ne peut être privé de son droit légitime de propriété qu’en vertu d’un jugement rendu par un Tribunal de droit commun passé en force de chose souverainement jugée, sauf dans le cadre d’une réforme agraire.

Les limites du droit de propriété de l’étranger deviennent avec le projet Moïse beaucoup plus floues (article 85 et 86 du projet Moïse) ;

La généralisation des référendums en toute matière, ce qui nous ramène aux dictatures de Borno, Vincent et Duvalier. Les référendums de 1964 pour la Présidence à Vie, de 1971 pour la succession au pouvoir de François à Jean-Claude Duvalier, et de 1985 pour la confirmation de la Présidence à Vie ont laissé un très mauvais souvenir à la population haïtienne. Nous allons avoir un déluge de référendums bidons poursuivant tous des objectifs anti-démocratiques. Nous servira-t-on une nouvelle Présidence à Vie ? Ça reste à voir…

Le retour à la Chambre unique duvaliériste, pierre angulaire de la dictature trentenaire des deux Duvaliers.

La dénaturation des articles 281 et 281.1 sur le financement des élections et le remboursement des frais encourus par les partis politiques par l’État avec la constitutionnalisation par l’article 96 du projet Moïse du principe de remboursement en proportion du nombre de suffrages recueillis alors que ces dispositions auraient pu très bien être intégrées à une loi électorale. 

La perte du scrutin à deux tours qui était l’une des revendications-clés de 1986, (forte possibilité de manipulations et d’élection avec des majorités dérisoires), voir article 100 du projet Moïse.

La suppression du Sénat de la République une des conquêtes phares de 1986. Nous avons été choqués d’entendre M. Louis Naud Pierre déclarer souverainement que le Sénat n’est pas nécessaire en Haïti, ce qui démontre sans doute qu’il n’a jamais ouvert un livre d’histoire d’Haïti. Une telle déclaration est aberrante venant de la bouche d’un réputé sociologue. L’expérience dans notre pays contredit carrément M. Louis Naud Pierre. De par sa composition et sa base électorale différentes de celles de la Chambre des Députés, le Sénat a toujours été au cœur de toutes nos luttes pour la démocratie et pour la défense des libertés publiques. Il a affronté Sténio Vincent en 1934 et Duvalier en 1959. Il a toujours été la pièce maîtresse du Parlement haïtien et le contrepoids naturel à la Présidence de la République. C’est un lieu de contre-pouvoir très important. C’est une chambre de réflexion qui a pour mission de réexaminer les lois et à maintes reprises les Sénateurs ont rattrapé de grossières erreurs commises par la Chambre des Députés. De l’avis même de certains députés, ces derniers sont plus confortables pour travailler quand ils savent qu’ils sont secondés par une deuxième chambre législative. Historiquement et politiquement, l’élimination du Sénat de la République est une énormité, une indécence, une gifle magistrale administrée à la démocratie haïtienne, une attaque frontale contre nos institutions républicaines, une insulte à tous ceux qui ont combattu la dictature Duvalier et qui même y ont laissé leur vie, un véritable sacrilège, si l’on considère la manière dont le dictateur sanguinaire François Duvalier avait supprimé le Sénat en avril 1961 parce qu’il constituait un obstacle majeur au régime totalitaire qu’il avait institué dans le pays. Jovenel Moïse n’était même pas né à ce moment-là. Il ne peut pas savoir. Il n’a pas vécu ces choses. L’existence du Sénat, surnommé depuis toujours « le Grand Corps » est une garantie pour tous. Le Sénat haïtien qui date de 1806 est le plus ancien de l’Amérique Latine et le second du continent après celui des États-Unis. Depuis 1816, si l’on excepte la parenthèse du régime Duvalier, la tradition parlementaire haïtienne est celle du bicaméralisme égalitaire. Le Sénat est la pièce maitresse de nos institutions démocratiques, et la suppression du Sénat est la pièce maitresse du projet anti-démocratique de Jovenel Moïse et de Mme La Lime. En 1946, pour installer leur dictature en Pologne, les communistes supprimèrent le Sénat par un référendum truqué. Les instigateurs du projet Moïse ont décidé unilatéralement que le Sénat n’était plus nécessaire. Qu’est-ce empêcherait demain le Président Moïse ou son successeur désigné, sous l’égide de la constitution Moïse, d’éliminer le Pouvoir Judiciaire, le Gouvernement et les Ministres, le Conseil Électoral, et pourquoi pas s’autoproclamer « Président à Vie, Maréchal, Empereur, Guide Suprême de la Nation » ? Il n’y a pas de raison de s’arrêter.  La démocratie se fait avec des institutions et non avec des hommes. M. Louis Naud Pierre devrait retourner à ses livres avant de penser à induire les gens en erreur.

La perte de la représentation des Communes à la Chambre en tant que telles, un seul député pouvant représenter un très grand nombre de communes, lui-même pouvant n’avoir aucun lien avec elles, article 100 et 102 du projet Moïse. Depuis la création de la Chambre des Députés en 1816, le député a toujours été intimement lié à la Commune qu’il représente et a souvent été son défenseur auprès du pouvoir central. Au moins depuis la seconde moitié du 19ième siècle, le député a toujours été un agent de développement de sa commune, exemple : le député de Jacmel Antoine Alcius Charmant fit électrifier la ville en 1895, même sous Duvalier Wéber Kersaint des Baradères, André Simon de Belle-Anse, Jaurès Lévêque de Thiotte, Ernst Dumervé du Môle Saint-Nicolas, Candelon Lucas de Jean-Rabel, Mme Max Adolphe née Rosalie Bosquet, cheffe macoute, de Mirebalais, Ingénieur Métellus Charles de l’Acul-du-Nord/Plaine-du-Nord, sont tous des députés duvaliéristes qui ont beaucoup fait pour leur commune. Plus près de nous, pour ne vexer personne, nous citerons seulement à titre d’exemple le cas du député Patrick Robasson qui a transformé Anse-à-Pitre, d’un insignifiant hameau de maisonnettes et de paillotes en une charmante petite ville frontalière ayant sa gare maritime. Le député avait même le projet de rebâtir l’aérodrome de la ville en un autre endroit plus idoine. La liste des députés contemporains progressistes serait trop longue à reproduire ici. Nous allons perdre tout ça avec le nouveau projet de constitution. Pourquoi ? Parce-que les députés seront désormais élus dans des circonscriptions abstraites, théoriques et arbitraires n’ayant plus aucune base territoriale, reposant exclusivement sur un critère démographique et égalitaire (référence articles 100 et 102 du projet Moïse). Si le Sénat de la République est supprimé, la Chambre des Députés, telle que nous la connaissons depuis 1816, et même durant la parenthèse Duvalier, est tout simplement détruite. On la laisse subsister et on l’annule en même temps. Le Parlement haïtien est vidé de sa substance, réduit à sa plus simple expression, et ne sera peuplé que de zombies. C’est la fin du Parlement haïtien et le Pouvoir législatif n’existera plus que de nom puisqu’une de ses Chambres a été supprimée et l’autre entièrement neutralisée. Port-au-Prince y aura malgré tout la part du lion au détriment de la province avec ce système pervers. On est bien parti pour le maintien et le respect des normes et institutions démocratiques. Cette nouvelle notion de circonscription théorique uniquement basée sur la démographie, n’est pas un concept haïtien, il est probablement dû à l’un de ces experts étrangers mercenaires engagés par Jovenel Moïse pour écrire sa constitution de la même manière que la Constitution de 1935 n’était pas un texte écrit par des Haïtiens. Cette fois-ci au lieu d’aller chercher de l’aide chez les Polonais, on fait appel aux Tunisiens. Il le faut bien puisque le Président Moïse et ses séides savent qu’aucun expert national digne de ce nom, se respectant, ayant la légitimité et la triture nécessaires pour élaborer une constitution ou même se prononcer sur les questions constitutionnelles, n’accepterait de se prêter au jeu cynique d’une telle farce macabre.  Pratiquement, le projet Moïse prive le peuple de sa représentation légitime.

Le député est élu pour 5 ans (article 104 du projet Moïse). Tous les mandats donc les élections coïncident maintenant (c’est également le cas pour le Maire comme nous le verrons ci-après). Ceci peut entrainer un vide politique ou bien la monopolisation de tous les postes électifs du pays d’un seul coup par un pouvoir politique aux moyens d’élections frauduleuses, situation impossible avec la Constitution de 1987.

Les parlementaires ne sont plus inviolables (le Député Franck Séraphin arrêté par les Tontons Macoutes le 28 novembre 1960 en pleine séance alors qu’il avait la parole, doit se retourner dans sa tombe).

La limitation du domaine de la loi, servilement copiée sur la France mais impraticable et dangereuse en Haïti. (Référence article 117 projet Moïse). C’est la porte ouverte à tous les abus. Le domaine de la loi a toujours été général dans notre pays depuis 1843 au moins.

La suppression de la formalité de validation de pouvoirs des parlementaires, dernière formalité qui permet de bloquer un individu irrégulièrement élu (disparition de l’article 108 de la Constitution de 1987) ;

L’adoption expéditive des lois par une Chambre unique.

La réduction du quorum : des lois peuvent être adoptées jusqu’à 1/6 des membres de la Chambre unique (désignée comme Assemblée Nationale), référence article 111 du projet Moïse.

L’initiative des lois de finances appartient au seul Président de la République et non plus au Pouvoir Exécutif (article 122 du projet Moïse), ce qui traduit une personnification à outrance de l’Exécutif et laisse présager d’une valse de millions dont le Président serait le grand ordonnateur et le seul chef d’orchestre ;

La suppression de la décharge pour être candidat, tous les grands voleurs auront la partie belle ;

La décharge devient annuelle et automatique (article 123 du projet Moïse) ;

L’introduction par le projet Moïse d’un concept de « résidence habituelle » comme condition d’éligibilité à certains postes électifs, administratifs et/ou politiques, lequel concept reste vague et n’est pas défini. En matière de conditions d’éligibilité, les critères de leur établissement doivent être clairs et ne pas laisser de latitude à l’interprétation pouvant amener à des débats et contestations inutiles lors du dépôt de candidature, de l’élection ou de la nomination d’individus aux postes concernés, sachant que dans cette ligne de pensée à l’heure de la mondialisation, quelqu’un peut avoir aisément plusieurs « résidences habituelles ».  En ce sens, le domicile fiscal associé à la résidence tout court aurait été plus efficace et effectif en la matière.

La suppression de l’article 107.1 de la Constitution de 1987 qui permettait à un sénateur ou député de pouvoir entretenir l’Assemblée à laquelle il appartient de questions d’intérêt général avec le maintien d’une disposition unique par l’article 112 du projet Moïse selon laquelle l’Assemblée Nationale (ici Chambre unique) ne peut se prononcer sur un objet étranger à l’ordre du jour arrêté par le Président de la République lors de convocations à l’extraordinaire. Encore un mécanisme traduisant la volonté du Président Moïse de museler un peu plus le pouvoir législatif.

Le Parlement ne peut plus interpeller ni censurer le Gouvernement ni un seul Ministre. Les ministres sont autant de petits rois.

La suppression du poste de Premier Ministre, un des acquis majeurs de 1987 et l’un des premiers instruments de partage et de limitation des pouvoirs précédemment détenus par le seul Président de la République. Il n’est en fait pas remplacé par le Vice-Président, ce dernier introduit par le projet Moïse, devant être élu avec le Président mais sans aucun pouvoir. Ce Vice-Président est de la poudre aux yeux. Ce sont deux fonctions complètement différentes. Il y a des pays comme l’île Maurice qui ont un Président, un Vice-Président, et un Premier Ministre. C’est encore tromper ceux qui ne savent pas. Le Président de la République tel que le conçoit le projet Moïse redevient à la fois le Chef de l’État et le Chef du Gouvernement (article 133 du projet Moïse) qui sont deux fonctions totalement distinctes sur le plan administratif. Le Premier Ministre est un fusible qui porte l’essentiel de la responsabilité politique ; il protège le Président et il saute en cas de crise selon le principe « Le Roi ne peut mal faire ».  Les Premiers Ministres Alexis, Pierre-Louis, Lamothe, Lafontant et Céant, ont sauté permettant aux Présidents Préval, Martelly, et Moïse de poursuivre leur mandat respectif. L’arrivée aux affaires du Premier Ministre Evans Paul avait permis de calmer le jeu politique. Le Premier Ministre Enex Jean-Charles avec sa personnalité rassurante et apaisante a détendu l’atmosphère générale et a joué un rôle extrêmement positif pendant la présidence de Jocelerme Privert. Avec le projet Moïse, le Président monte en première ligne et quand aura lieu une crise politique sérieuse, la rue demandera immanquablement son départ et celui de son Vice-Président, son compère élu en même temps que lui, générant ainsi de l’instabilité politique alors que le projet Moïse veut soi-disant l’éviter. Le Premier Ministre ne sera plus là pour faire écran et essuyer les plâtres. Le Premier Ministre est un rouage essentiel de nos institutions démocratiques. Le Premier Ministre dispense le Président de l’accomplissement d’une foule de tâches ancillaires. La Constitution de 1987 fonctionne selon le principe du partage des responsabilités et du pouvoir, donnant un peu à chacun. Après le régime totalitaire des Duvalier, la démocratie haïtienne se veut participative, inclusive, consensuelle et conviviale ; elle repose sur le principe de chez nous : « Yon sèl dwèt pa manje kalalou ».

L’élection présidentielle a lieu désormais au scrutin uninominal à un tour ce qui fait de cette élection une véritable farce électorale dans un pays où il y a régulièrement une soixantaine de candidats à la présidence.  Ceci permet à un pouvoir politique de faire cadeau de quelques pour cents de voix à son poulain pour en faire un président. Quelqu’un pourrait ainsi se retrouver président avec 10% des voix même moins avec ce mode de scrutin. Le scrutin uninominal à un tour est possible dans les pays qui pratiquent le bipartisme comme les États-Unis ou le Royaume-Uni mais ne convient pas à un pays qui a une multitude de partis politiques. Avec ce type de scrutin à un tour, l’élection présidentielle en Haïti est réduite à une pure formalité et à une mascarade (article 134 du projet Moïse).

Nous perdons la date hautement symbolique du 7 février qui marque le triomphe de la Démocratie sur la Dictature. Elle est remplacée par le premier lundi du mois de février qui n’a aucune signification (article 135 du projet Moïse) ;

Les mandats présidentiels peuvent être consécutifs, bien que toujours limités en théorie à deux mandats, ce qui permet à un Président de rester 10 ans d’affilée au pouvoir (article 136 du projet Moïse). Le temps sera si long que la tentation de la modification constitutionnelle à l’Africaine pour avoir un troisième mandat est la porte. Ceci contrevient au principe de la non-réélection immédiate qui est exprimée dans toutes nos constitutions libérales (Constitution de 1843, 1867, 1889, 1932, 1946, 1950, 1987) ;

La création d’un Vice-Président absolument sans pouvoirs propres qui peut aisément se convertir en Premier Comploteur de la République suivant les craintes fondées du Ministre haïtien, Me François Gérard C. Noël, un grand juriste, ou encore du Général de Gaulle ;

L’immunité pénale absolue pour le Président de la République, une véritable énormité, et une chose complètement immorale. Le président est placé au-dessus de la Loi ce qui est inconcevable dans une démocratie. Selon cet article 139 du projet Moïse, le Président de la République pourrait violer à sa guise n’importe quelle liberté fondamentale, assassiner des milliers d’Haïtiens, voler des millions de dollars, rouvrir un Fort-Dimanche pour y emprisonner et y faire disparaître ses opposants, sans avoir aucun compte à rendre à personne à l’expiration de son mandat. Nous sommes certains qu’un pareil article n’existe dans aucune constitution démocratique au monde, et est sans doute le fruit d’un des cerveaux tordus de ces mercenaires étrangers, soufflé aux cinq plumitifs de son comité consultatif, dit « indépendant ». (Jovenel Moïse ne veut pas être Nicolas Sarkozy).

Le Président déclare l’état d’urgence (article 143 du projet Moïse) inexistant dans la Constitution de 1987 et relevant à date d’une loi. Cet état d’urgence qui peut réserver des surprises antidémocratiques terribles n’est même pas défini par le projet Moïse. 

Le Président est le Chef de l’Armée comme au temps de Duvalier (article 142 du projet Moïse). Les Forces Armées d’Haïti risquent fort, et très vite, de devenir sa propriété privée.

L’état de siège est désormais laissé entre les mains et à la discrétion du Président de la République. Cette mesure est un outil répressif extrêmement puissant qui permet de suspendre n’importe quelle garantie constitutionnelle et qui relève ainsi de la décision d’un seul homme tout puissant :

Voilà ce que nous perdons de la Constitution de 1987 :

–              ARTICLE 278 : Aucune place, aucune partie du Territoire ne peut être déclarée en état de siège qu’en cas de guerre civile ou d’invasion de la part d’une force étrangère.

–              ARTICLE 278.1:

L’acte du Président de la République déclaratif d’état de siège, doit être contresigné par le Premier Ministre, par tous les Ministres et porter convocation immédiate de l’Assemblée Nationale appelée à se prononcer sur l’opportunité de la mesure.

–              ARTICLE 278.2:

L’Assemblée Nationale arrête avec le Pouvoir Exécutif, les Garanties Constitutionnelles qui peuvent être suspendues dans les parties du Territoire mises en état de siège.

–              ARTICLE 278.3:

L’État de siège devient caduc s’il n’est pas renouvelé tous les quinze (15) jours après son entrée en vigueur par un vote de l’Assemblée Nationale.

–              ARTICLE 278.4:

L’Assemblée Nationale siège pendant toute la durée de l’État de siège.

Voilà ce qu’on nous donne :

Article 144. du projet Moïse – Le Président de la République décrète l’état de siège en Conseil des ministres en cas de guerre civile ou d’invasion d’une portion du territoire nationale par une force armée étrangère.

Le régime juridique de l’état de siège est fixé par la loi.

Le Président a le droit de prendre décrets et ordonnances comme il veut (article 145 du projet Moïse) ; les décrets-lois de Vincent et Duvalier ont laissé de très mauvais souvenirs et ont été absolument interdits par la Constitution de 1987.

Le Président peut empiéter sur le domaine de la Loi par l’adoption d’ordonnances (article 146 du projet Moïse) ;

 L’article 150 de la Constitution de 1987 limitant strictement les pouvoirs du Président de la République disparait, ce qui implique ipso facto que le Président a d’autres pouvoirs, ou peut en avoir, qui ne sont pas révélés et qui peuvent surgir à n’importe quel moment, ou bien peut s’en attribuer lui-même. Jovenel Moïse vient face à la Nation de violer cet article 150 commettant ainsi une usurpation de pouvoirs, faisant Pâques avant Carême. En effet, quel texte a donné le pouvoir ou le droit au Président de la République d’organiser un référendum pour changer la Constitution selon son bon plaisir comme si c’était son bien privé, ou bien de légiférer par Décret ? L’actuel article 136 de la Constitution de 1987 en vigueur ne lui permet de prendre que des mesures qui sont strictement nécessaires au fonctionnement de l’État, et ce seulement dans les limites du « raisonnable », notion très importante en Droit et qu’il semble cependant ignorer. Le Président Jovenel Moïse a déclaré pour essayer de justifier avec une déplorable maladresse, son coup de force contre la Constitution et contre la légalité républicaine, que la Constitution de 1987 est une source de corruption, on est en droit de lui demander sans rire, si sa constitution dictatoriale, avec une présidence autoritaire, macrocéphale, tentaculaire, concentrant tous les pouvoirs entre les mains d’un Président omnipotent et omniscient, ne sera pas une source de corruption, voire un Niagara de corruption. Le Président Moïse qui est un homme qui a des lectures doit certainement connaître cette célèbre formule attribuée à Lord Acton : « Le pouvoir tend à corrompre. Le pouvoir absolu corrompt absolument. »

Le Président de la République comme nous l’avons dit concentre tous les pouvoirs. La Présidence de la République devient un one-man show et le Président est un homme-orchestre à la fois chef d’orchestre et musicien. Le régime présidentiel en Haïti débouchera toujours sur la dictature, le régime parlementaire est absolument inapplicable en Haïti. Il ne nous reste pour obtenir une modération des pouvoirs du Président de la République que le régime semi-présidentiel que nous avons présentement avec un Exécutif bicéphale tel que prévu par la Constitution de 1987, régime qui pourrait bien entendu faire l’objet d’aménagements à l’occasion d’amendements constitutionnels réguliers et légitimes dans le futur.

L’usage large et sans limite du référendum, à la gouge, c’est Saint Référendum priez pour nous.

La même clause d’impunité absolue est répétée pour les Ministres du Président (article 167 du projet Moïse) : il y a beaucoup de PetroCaribe en perspective ;

Le Pouvoir Judiciaire perd de son indépendance et subit aussi les méfaits de l’omnipotence du Président lequel a la haute main dans la nomination des Juges ;

Un autre danger pour nos institutions est l’introduction de la notion de « Procureur de la République » qui ne veut absolument rien dire pour un Haïtien. De plus cette notion n’est pas définie dans le projet, on y fait référence dans l’Avant-Propos de mise en contexte du projet de constitution, et ensuite dans seulement dans l’article 198 du projet Moïse permettant à la Cour des Comptes de saisir le procureur de la République près le tribunal de première instance du ressort qui diligente des poursuites judiciaires à l’encontre des ordonnateurs et des comptables publics soupçonnés de malversation financière ;

 Les tribunaux spéciaux sont transformés en tribunaux d’exception (article 168 du projet Moïse). Le mot « exception » à lui seul peut faire peur et donner froid dans le dos. Pourquoi un tel changement ? S’agit-il encore une fois de singer l’étranger alors que nous avons nos propres usages et pratiques ? Comme le disait souvent le Président Emile Jonassaint « Nous ne sommes pas obligés de singer la France ».

La Cour des Comptes perd toute indépendance, les juges n’ont plus de mandat fixe, ils sont nommables et révocables à merci par le Président de la République et l’Assemblée Nationale (article 198 du projet Moïse).

Le Conseil Électoral Permanent est nommé pour 6 ans par le seul Président de la République (article 208 du projet Moïse).

Les Forces d’Armées d’Haïti ne sont plus apolitiques avec la suppression de l’article 265 de la Constitution de 1987. Plus rien n’est dit sur l’interdiction faite aux militaires d’adhérer à des partis politiques ni sur leur droit de vote. Elles deviennent la chose du Président. Le Général Hérard Abraham comme homme de l’art, devrait bien savoir que dans une démocratie les forces armées doivent toujours être apolitiques. Forts de ce constat, on pourrait avec le projet Moïse comme du temps du Troisième Reich forcer les militaires à prêter un serment d’allégeance au Président de la République ou à adhérer au parti au pouvoir. Dans tous les pays, la neutralité politique est une condition essentielle au bon fonctionnement de forces armées professionnelles et performantes. Le Commandant en Chef des FAD’H est rétrogradé au simple rang de chef d’état-major général sans réels pouvoirs. Le modèle colombien une autre conquête de 1986 qui a inspiré l’Assemblée Constituante de 1987 en la matière est entièrement abandonné.  On revient tout simplement à la situation qui a existé en Haïti entre 1941 et 1987. Le danger bien réel est que l’institution militaire se retrouve complètement vassalisée.

La Police Nationale d’Haïti ne dépend plus du Ministère de la Justice, ce qui était une conquête importante de 1986.  Elle peut donc demain matin être placée sous les ordres du Ministre de l’Intérieur voire du Président de la République et être convertie du jour au lendemain en un corps officiel de répression ou en une police politique (article 269 de la Constitution de 1987 vs article 223 du projet Moïse). L’article 272 de la Constitution de 1987 qui énumère les différents services de la Police est supprimé.

L’organisme néo-macoute ANI violateur des libertés publiques, créé illégalement par Jovenel Moïse est constitutionalisé (article 231) ;

La Haute Cour de Justice ne compte plus de parlementaires (article 233 du projet Moïse) et une loi organique prise ultérieurement devra fixer la procédure à suivre par devant elle (article 240) alors que la Constitution de 1987 en définissait d’emblée les grandes lignes. Aujourd’hui en l’état de notre législation, la marche à suivre pour saisir la Haute Cour de Justice est claire. Qu’arrivera-t-il si le Pouvoir Législatif à chambre unique contrôlée par le Président de la République n’adopte jamais cette loi organique ? Par ailleurs la Haute Cour de Justice n’est à présent composée que de juges nommés par le Président et non de sénateurs élus par le peuple (article 233 du projet Moïse). Où est leur garantie d’indépendance ? Le projet Moïse limite à deux le nombre de mises en accusation possibles par devant cette Cour et interdit toute mise en accusation durant la première année du mandat présidentiel (article 237 du projet Moïse). 

Une Cour Constitutionnelle est créée sans garantie d’indépendance (article 197 du projet Moïse). En Afrique, ces Cours Constitutionnelles sont des instruments dociles entre les mains des dictateurs. A signaler que selon l’article 190 du projet Moïse, il faut être détenteur d’au moins un diplôme de deuxième cycle de l’enseignement supérieur pour être membre de cette Cour. Ce qui dans un pays offrant à peine ce genre de formations, exclut d’emblée de nombreux citoyens compétents pouvant avoir la triture et l’expérience juridique et politique nécessaires pour faire partie a priori d’une telle institution. Cela laisse également présager de l’importation systématique d’idées acquises en milieu étranger ne correspondant pas à la réalité juridico-légale haïtienne.

La Commune est dirigée par un Maire unique (article 257 du projet Moïse), ce qui est contraire à nos pratiques et traditions de gouvernement municipal collégial, et peut ouvrir la porte à une multitude de petites dictatures locales puisque le principe de la collégialité est aboli avec la suppression du Conseil Municipal. Son mandat est également de 5 ans comme nous l’avons mentionné plus haut, et s’aligne donc sur le mandat des autres fonctions électives avec les risques que nous avons précédemment soulignés (art. 258 du projet).

L’instauration d’un Coordonnateur Unique de Section Communale en remplacement du CASEC à trois membres (article 263 du projet Moïse). À signaler que même sous Duvalier, le Code Rural prévoyait un Conseil d’Administration de trois membres pour de la section communale. Son mandat est de 5 ans ;

La révision constitutionnelle est possible à tout moment et immédiatement comme sous Duvalier (article 268 du projet Moïse). Le danger :  En janvier 1971, la Constitution de 1964 fut modifiée en deux jours pour permettre d’avoir Jean-Claude Duvalier comme successeur de son père à la Présidence à Vie de la République. En août 1983, on vota une nouvelle constitution en trois jours qui fut amendée deux ans plus tard en 1985 par un processus non moins expéditif qui permettait notamment à Jean-Claude Duvalier de nommer au moment opportun son fils François-Nicolas Duvalier comme son successeur et qui annonçait déjà le référendum de Roger Lafontant le 22 juillet 1985 pour confirmer la présidence à vie.

La révision constitutionnelle est également possible par référendum qui sera certainement frauduleux comme tous ses prédécesseurs de 1928, 1935, 1964, 1971, 1985, ou encore comme celui, absolument inconstitutionnel, annoncé à présent pour juin 2021.

L’article 271 du projet Moïse valide la durée du mandat controversée du Président Moïse au 7 février 2022.

L’article 281 de l’avant-projet valide sur le plan légal tous les décrets, arrêtés et actes administratifs anticonstitutionnels adoptés par Jovenel Moïse ces dernières années et annonce une insécurité et instabilité juridiques graves nuisibles aux fondements et au bon fonctionnement de l’État de Droit.

La structure de la Constitution a été modifiée intentionnellement pour semer la confusion et décourager ceux qui voudraient entreprendre un exercice de comparaison linéaire entre la Constitution de 1987 (versions originale et amendée) et le projet Moïse. L’ordre et le contenu des chapitres de la Constitution en vigueur ont été littéralement mélangés, malaxés, brassés, pour brouiller les pistes et mieux noyer le poisson. Le Président Moïse et ses sbires oublient une chose : il reste encore quelques Haïtiens « save » qui n’ont pas peur du travail intellectuel et qui ne reculeront pas devant la tâche. À nous de lui rappeler que Napoléon Bonaparte, dictateur de son état, rétablisseur de l’Esclavage, connu et reconnu pour n’avoir jamais respecté sa parole, écrivait en son temps : « Il faut qu’une Constitution soit brève et obscure. Elle doit être faite de manière à ne point troubler l’action du gouvernement. ». Cette citation de Bonaparte s’applique parfaitement à l’esprit, à la lettre et à la finalité du projet Moïse.

L’élimination du concept d’Institutions Indépendantes prévues par la Constitution de 1987 (à noter absence flagrante du chapitre sur l’Université d’État d’Haïti dans le projet Moïse). Le projet Moïse parle un peu partout dans son contenu « d’organismes publics indépendants » sans définir au minimum la nature de ces organismes et de l’indépendance qui leur est octroyée et attachée. De même de la Banque Centrale avec l’article 124 du projet Moïse se retrouve réduite au statut « d’institution publique » même si elle jouit de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. La qualification d’institution publique appliquée à la Banque Centrale la rattache inévitablement à l’appareil institutionnel de l’État alors que c’est justement, aujourd’hui encore, la structure particulière de la Banque Centrale, reprise dans la Loi du 17 août 1979 la créant, qui permet à l’État Haïtien d’offrir certaines garanties économiques, notamment à l’échelle internationale.

L’introduction de notions de droit et de légistique étrangères au droit haïtien et à la coutume juridique haïtienne. Les promoteurs du projet Moïse veulent nous vendre l’idée d’une nouvelle constitution fabriquée sur mesure pour nous Haïtiens, et correspondant à notre réalité alors que celui-ci est truffé de concepts juridiques appartenant purement au droit français totalement inconnus ici, tels que : la loi organique, la loi de règlement, la loi d’habilitation, l’ordonnance, le Procureur de la République, la juridiction parallèle administrative détachée de la Cour des Comptes, pour ne citer que ceux-là. A titre d’exemple, la seule Ordonnance de notre histoire est celle du Roi Charles X en date du 17 avril 1825 qui reconnaissait conditionnellement l’Indépendance d’Haïti et nous imposait la lourde dette française. Le mot ordonnance est un mot qui aura toujours un goût amer et qui résonnera toujours négativement aux oreilles des Haïtiens. Les rédacteurs du projet Moïse veulent-ils nous ramener au règne de Charles X ? On peut être sûr que ces futures ordonnances recèlent assurément des entourloupettes.

S’il est un fait admis généralement par tous les secteurs de la vie nationale, c’est que la Constitution de 1987 (versions originale et amendée) mérite un nettoyage, un « pase-men », par le biais d’amendements réfléchis, travaillés et judicieux, faits selon les normes établies notamment les débats publics au Parlement, et respectant la procédure prévue par la Constitution pour les amendements, en vue de rendre son fonctionnement plus souple et plus harmonieux, comme par exemple la réduction du mandat présidentiel à 4 ans et la simplification de la procédure de nomination et d’installation du Premier Ministre. C’est tout à fait possible, il suffit seulement de le vouloir. Cependant il est hors de question de faire disparaitre la Constitution de 1987 dans son intégralité et de la remplacer par une « constitution lòbèy », une « constitution champwèl », comme le veut actuellement le pouvoir politique en place. On ne peut jeter le bébé avec l’eau du bain. La Constitution de 1987, la plus durable de toute notre histoire, a fait ses preuves, elle a démontré sa résilience, elle a largement rempli sa mission pendant 34 ans en barrant la route aux apprentis dictateurs et aspirants dictateurs. N’en déplaise au Ministre Claude Joseph, la Constitution de 1987 est plus que jamais d’actualité et peut continuer à nous servir et à protéger nos droits et notre démocratie pour de longues années encore. Un certain consensus existe donc au sein de la société civile et des organisations politiques en faveur d’amendements pertinents et réguliers mais il est totalement inadmissible que ces modifications soient conçues et imposées unilatéralement dans une semi-clandestinité par un seul homme et son petit groupe d’inaptes. Chacun des articles du projet Moïse aurait dû être motivé individuellement comme l’exige la Constitution de 1987 en son article 282, pour l’expliquer à la population et en justifier le libellé, le pourquoi de son intégration au projet et de son adoption ultime. L’avant-propos du CCI ne suffit pas sachant, que tant sur le fond que sur la forme, il n’a aucune valeur et force juridiques, qu’il reflète uniquement l’opinion de ses auteurs et n’engage qu’eux-mêmes.

D’une manière générale, la « constitution Moïse » élimine tous les garde-fous, les verrous, les contre-pouvoirs, les contre-poids, les mécanismes institutionnels, les systèmes de « check and balance » judicieusement mis en place par la Constitution de 1987 pour limiter les pouvoirs du Président de la République et pour empêcher l’avènement d’une nouvelle dictature en Haïti. Compte tenu de notre culture politique, le danger de dictature sera toujours présent dans notre pays car « en chaque Haïtien sommeille un dictateur ».  Il faut en être parfaitement conscient. Il est tout simplement irresponsable comme le fait le projet Moïse, de laisser le sort de tout un peuple entre les mains d’un seul homme disposant d’un pouvoir exorbitant et sans limites sur le simple fait que cet homme a été juste élu. Le projet Moïse n’est que le cadre juridique pour institutionnaliser et pérenniser un régime tyrannique, liberticide, brutal, répressif, criminel, mafieux, gangstérisé et appelé inévitablement à devenir sanguinaire.

En substance, l’enjeu actuel est très simple : Démocratie contre Dictature.

Il est carrément scandaleux que Madame Helen La Lime représentante des Nations-Unies en Haïti prenne fait et cause pour le projet de Jovenel Moïse d’imposer au pays une constitution illégitime et illégale et applaudisse au rétablissement de la dictature en Haïti. Madame La Lime veut-elle « limer » les Haïtiens et la démocratie haïtienne ?  Une lime est faite pour « limer ».  Certains manifestants disent que Mme La Lime ne sait pas compter. D’autres sont en droit de se demander si elle sait même lire et si elle n’est pas une simple analphabète fonctionnelle. En effet l’article 284-3 de la Constitution de 1987, qui tire son origine de l’expérience vécue et du souci d’éviter toute répétition du coup de force du Président Sténio Vincent de 1935 contre la Constitution démocratique de 1932 qu’il détestait, se lit comme suit « Toute Consultation Populaire tendant à modifier la Constitution par voie de Référendum est formellement interdite ». Peut-être faudrait-il l’écrire dans les six langues officielles des Nations Unies pour Mme La Lime ? De toutes façons par son attitude partiale et condamnable, Mme La Lime s’est entièrement disqualifiée et discréditée et elle a perdu toute confiance du côté des Haïtiens. Barnave disait qu’on ne demande pas justice à ceux qui sont injustes. Si Mme La Lime avait un ersatz de dignité et un sens minimal de la décence, comme Dante Caputo avant elle, elle aurait dû démissionner et rentrer chez elle, car elle ne peut plus rien faire de positif en Haïti. Les étroites relations de Mme La Lime et du Président Moïse n’ont pas pour autant empêché ce dernier de se faire humilier publiquement au Conseil de Sécurité par les représentants des grandes puissances qui ont également indirectement blâmé Mme La Lime avec politesse de trop le tolérer. Le peuple haïtien a bien compris lui. L’avant-projet de constitution autoritaire est déjà appelé dans le public la « Constitution Moïse », on commence aussi maintenant à l’appeler parfois la « Constitution La Lime », ce qui est peu flatteur pour la distinguée diplomate compte tenu des horreurs, des aberrations et de la foule de choses épouvantables qui s’y trouvent. Voici le triste résultat auquel l’ont amenée son racisme, son mépris des Haïtiens, son manque de jugement et son incompétence. Quant à son protégé, le Président Moïse, la cause principale de tous ses problèmes politiques actuels est sa volonté obstinée de changer à tout prix la Constitution en vigueur et de rétablir dans le pays la dictature dont il est devenu à présent, par sa faute, la personnification et le symbole vivant. De toutes façons, l’ONU s’entend toujours très bien avec les dictateurs africains. Un de plus, c’est tout.  Les Nations-Unies donnent souvent l’impression de préférer traiter avec les dictateurs qu’avec les gens respectables.

Le Président Jovenel Moïse dit qu’il n’est pas un dictateur mais le journal américain Washington Post écrit dans un article en date du 10 février 2021, que malgré ses dires, les actes du Président Jovenel Moïse démontrent le contraire. Nous avons suivi l’intervention du ministre Claude Joseph sur France 24 qui défendait la même thèse en avançant que le Président Moïse n’est pas un dictateur parce qu’il va remettre le pouvoir volontairement le 7 février 2022. Cet argument est tout simplement puéril et ne tient pas la route. Comment faire confiance à quelqu’un qui ne respecte pas le serment qu’il prête devant toute une Nation ? Nous rappelons au Ministre Joseph, que des dictateurs abandonnent souvent volontairement le pouvoir, mais qu’ils n’en restent pas moins des dictateurs comme par exemple Fidel Castro à Cuba, Antonio Salazar au Portugal qui abandonnèrent volontairement le pouvoir pour des raisons de santé, ou Noursoultan Nazarbaïev au Kazakhstan qui quitta le pouvoir brusquement en 2019, Adolf Hitler qui après avoir gagné la Guerre prévoyait de se retirer à Linz en Autriche pour y jouir d’une retraite tranquille. Les dictatures ont également leurs constitutions. La dictature Duvalier avait bien la sienne. Les dictatures comme celles de Trujillo, de Loukachenko en Biélorussie, ou les dictatures africaines font périodiquement des élections et des référendums, et n’en restent pas moins des dictatures. Il a été absolument choquant d’entendre le Ministre Joseph déclarer sur ce média français que la Constitution de 1987 avait fait son temps, une Constitution qu’il se doit de respecter et de faire respecter. Son opinion n’engage que lui-même. Le Ministre Joseph n’a convaincu personne. Il essaie maladroitement en vain de défendre l’indéfendable.  À cause de la Françafrique, l’auditoire européen a l’habitude des dictateurs africains et de leurs pâles ministres.

De son côté l’Ambassadeur d’Haïti à Washington M. Bocchit Edmond déclare que la nouvelle constitution est destinée à renforcer les institutions démocratiques. Est-ce renforcer les institutions démocratiques que d’en détruire la principale, le Sénat de la République ? On comprend qu’il veuille défendre le projet de son maître, c’est son devoir, il ne fait que son travail, mais il y a une limite à tout, même à l’absurde.

Pour nous résumer, l’avant-projet Moïse, est la Constitution de François Duvalier de 1964 avec tous les pouvoirs concentrés aux mains du Président de la République, la Chambre unique (inique ?), des mascarades électorales périodiques, et la révision constitutionnelle possible à volonté, à tout moment et immédiatement. Le Président Jovenel Moïse n’a pas à s’offusquer quand on l’appelle un dictateur. Il n’a pas peur des choses, il ne doit pas avoir peur des mots. Avant lui d’ailleurs, d’autres présidents haïtiens démocratiquement élus se sont transformés aussi en dictateurs, dont deux en monarques : Henri Christophe, Faustin Soulouque, Sylvain Salnave, Michel Oreste, Sténio Vincent. Rien de nouveau !

Le Président Jovenel Moïse devrait savoir qu’il a pris une très grave responsabilité devant l’Histoire. Il a fait beaucoup de bonnes choses durant son gouvernement parfois dans des conditions très difficiles : routes, ponts, travaux aéroportuaires, barrages, pris des mesures pour l’agriculture et l’énergie, mais malheureusement pour lui l’Histoire ne retiendra le concernant que sa dictature, occultant tout le reste. Pour reprendre le poète anglais Rudyard Kipling, il a « perdu en un seul coup le gain de cent parties ». Le Président Moïse dit qu’il veut une constitution qui respecte les acquis de 1986, or le principal acquis de 1986 est la restauration du Sénat de la République, votée à l’unanimité par l’Assemblée Constituante le 2 février 1987, et voilà qu’il supprime le Sénat, comme d’ailleurs un autre acquis très important que sont les élections à deux tours. Il dit n’importe quoi. Il veut une constitution applicable, il devrait savoir que la dictature est toujours applicable. Il veut la stabilité, la dictature Duvalier nous a donné 29 ans de stabilité, avec les conséquences que l’on sait. L’instabilité apparente de la Constitution de 1987 a eu le grand mérite de ne pas laisser à un aspirant dictateur le temps de s’incruster et d’installer sa dictature.

Le référendum anticonstitutionnel est une véritable déclaration de guerre au peuple haïtien et un attentat contre la Démocratie. Si cette entreprise liberticide de violation frontale et grossière de la Constitution de 1987 réussit, il faut prévoir de très graves conséquences. La crise actuelle ne fera que s’aggraver avant et après le 7 février 2022, et le Président Moïse ainsi que son équipe n’auront remporté qu’une victoire à la Pyrrhus. Il est clair que cette prétendue « constitution » est un projet d’inspiration manifestement duvaliériste. Le projet Moïse apparait dès lors aux yeux du public comme un projet macoute visant à restaurer le macoutisme en Haïti. La rumeur, à tort ou à raison, court déjà en ville que ce coup d’État constitutionnel viserait en fait et ultimement à permettre au Petit Nicolas de reconquérir le trône.

Le Président Jovenel Moïse ne se rend pas compte qu’en violant aussi ouvertement la Constitution de 1987 en vigueur il commet le crime de Haute Trahison prévu par l’article 21 et 21.1 de la Constitution de 1987, de la même manière que les neuf membres du CEP illégal et les cinq membres du comité consultatif dit indépendant le commettent aussi à titre de complices. Tous les membres de BED, de BEC, le personnel des bureaux de vote, qui participeront à la réalisation du référendum anticonstitutionnel du 27 juin 2021 annoncé seront également tous coupables comme complices du même crime de Haute Trahison.

Le Président Jovenel Moïse peut s’en aller du pouvoir le 7 février 2022, c’est sans importance parce qu’il laissera derrière lui de toutes façons une dictature et passera probablement le pouvoir à un homme de son parti ou de son camp pour continuer le régime autoritaire et répressif qu’il aura créé et mis en place. Le Président Moïse aurait pu passer à la postérité comme un homme de progrès, un homme de lumières, un homme de vision, tout cela est maintenant irrémédiablement perdu pour lui. 

Par sa forfaiture, par la violation de son serment, par son refus de respecter les règles établies qui s’imposent indistinctement à tous, par son entrée en dictature, et par son projet de constitution autoritaire et présidentialiste, le Président Jovenel Moïse a porté un coup terrible au prestige et à la crédibilité de la Présidence de la République en tant qu’Institution. Il a créé chez les citoyens un sentiment durable de défiance, de suspicion et de prévention envers tous ses successeurs à cette haute fonction. À l’avenir, les citoyens déçus, bafoués, pessimistes, seront encore plus réticents à accorder leur confiance et à voter pour un candidat à la présidence, ne sachant pas quelles surprises désagréables, quels mauvais coups, quel jackpot ce dernier leur réservera une fois élu et ayant pris ses fonctions.

Monsieur le Président,

Vous pensez peut-être bien faire, mais le Peuple Haïtien ne veut pas de votre dictature, il ne veut pas vivre en dictature, il a eu trop longtemps à souffrir de la dictature durant son histoire. Il ne veut pas de votre paternalisme déplacé. Il ne veut pas de votre référendum illégal et de votre constitution liberticide. Personne n’est dupe. Monsieur le Président, écoutez la voix du Peuple, la voix du Peuple c’est la voix de Dieu, « Vox Populi Vox Dei ».  Rappelez-vous de l’Évangile selon St Luc chapitre 11, versets 11-12: « Quel est parmi vous le père qui donnera une pierre à son fils, s’il lui demande du pain ? Ou, s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu d’un poisson ? Ou, s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion?…»

Le Peuple haïtien ne vous a pas donné le mandat en vous élisant de changer la Constitution du pays comme bon vous semble pour lui imposer un régime autoritaire et de pouvoir personnel. Le fait que vous disposiez de l’appareil étatique ne vous autorise pas à tout faire. Vous comprenez mal votre mandat. Le peuple vous a donné mandat de gouverner son pays conformément à la Constitution sur laquelle vous avez d’ailleurs prêté serment, et que vous avez juré de respecter et faire respecter.  Vous ne sauriez aller au-delà du mandat à vous confié et l’exécuter selon votre propre interprétation, vos seuls caprices, votre bon plaisir, en violant votre serment constitutionnel comme vous le faites présentement. Vous avez trahi la confiance de centaines de milliers d’Haïtiens qui ont adhéré à votre programme de gouvernement et qui ont résolument voté pour vous en 2 fois. Maintenant vous êtes seul avec vos Ministres dont les zélés Claude Joseph et Mathias Pierre, vos protecteurs internationaux, votre Mme La Lime, votre police gangrenée et vassalisée, votre G-9 et une poignée de partisans convaincus comme vous des bienfaits de la dictature.  L’Histoire retiendra votre parjure. Monsieur le Président, avec tout le respect que l’on vous doit, vous faites fausse route !  Vous êtes orgueilleux, vous êtes obstiné, vous êtes opiniâtre, vous êtes têtu… Vous nous menez tout droit à la Catastrophe.  Vous n’êtes pas seul avec vos amis et vos séides, c’est tout un peuple qui va se retrouver victime de vos frasques constitutionnelles.

Le soutien inconditionnel des Nations-Unies et de Mme La Lime à votre entreprise antinationale de rétablissement de la dictature en Haïti ne vous servira à rien en finale. Vous allez gaspiller des millions de dollars de fonds publics, pour rien, pour organiser une mascarade référendaire. Le jour de votre référendum anticonstitutionnel bidon vous aurez ou bien des villes mortes à travers tout le pays, ou bien ce qui est le plus probable, une journée de violences inouïes avec mouvements « peyi lòk », barricades, grève des transports, pneus enflammés, attaques des bureaux de votes et des quelques rares votants, tirs, même vos propres gangs peuvent s’en donner à cœur joie ce jour-là pour vous embarrasser. Pouvez-vous prendre la responsabilité d’un nouveau Massacre du 29 novembre 1987, peut-être en plus grand et plus en horrible ? N’oubliez pas que les citoyens ont fait capoter le 2ème tour de votre première élection de 2015 avec seulement deux journées de toutes petites manifestations de rue comptant juste quelques centaines de personnes, et ce malgré la présence de la puissante MINUSTAH. Vous allez crier victoire avec 99.98% de OUI comme Roger Lafontant en 1985, mais ce résultat fabriqué pour vous ne concernera que vous-même, vos partisans et vos suppôts, le Président dictateur que vous aurez imposé à la Nation par des élections officielles à un tour… Personne n’ira voter à vos élections législatives et présidentielles bidon, organisées par votre CEP bidon au profit du successeur que vous aurez choisi et dont le nom est encore « in petto », et le pays ne fera que s’enfoncer encore plus dans la crise à cause de vous et de votre obstination. Souvenez-vous des tristement célèbres élections du 26 novembre 2000 avec le CEP bidon d’Ernst Mirville et de Luciano Pharaon et de la terrible crise qui s’en suivit. Votre caricature de constitution n’arrangera certainement pas les choses. Vous vous apprêtez à créer un précédent désastreux et dangereux qui va empoisonner la vie politique nationale pendant très longtemps. Avec votre référendum intempestif et votre constitution de pacotille vous allez ouvrir une boite de Pandore. Quand vous aurez satisfait votre ego démesuré et assouvi vos fantasmes et que vous serez finalement parti, un de vos successeurs fera rapidement pareil ou pire que vous ; vous aurez durablement mise en danger les Institutions, l’État de droit et la démocratie en Haïti. Vous aurez retourné le pays à l’ère de la valse des constitutions. A la longue liste des priorités du peuple haïtien, vous allez ainsi ajouter une autre dont il n’avait vraiment pas besoin : renverser la nouvelle dictature que vous lui aurez léguée à votre départ du pouvoir. C’est le retour à 1935. Quel grand bond en arrière pour l’homme de progrès que vous vous targuez d’être ! 

Dans tout pays sérieux, dans toute démocratie qui se respecte, le projet de constitution de Jovenel Moïse devrait tout simplement prendre le chemin du panier.

Un Collectif de Juristes

Références Bibliographiques

Constitution de 1987 (versions originale et amendée)

Avant-projet de constitution du Comité Consultatif Indépendant (février 2021)

BADIE, Bertrand & VIDAL, Dominique, Le Retour des Populismes, Paris, La Découverte, 2018

MERIEAU, Eugénie, La Dictature, une antithèse de la Démocratie, 20 idées reçues sur les régimes autoritaires, Paris, Le Cavalier Bleu, 2019