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La fin du mandat du président Jovenel Moïse anime les débats depuis quelques temps en Haïti. Auteurs Haïtiens et étrangers n’ont pas caché leurs talents d’écriture. J’ai eu la chance de lire quelques-uns, avec appétit. En ma qualité de professeur de droit public, j’entreprends la difficile mission de concilier deux  d’entre eux: Madame Myrlande Hyppolite MANIGAT, juriste de renom, professeure attitrée de droit Constitutionnel dont j’ai très souvent apprécié la qualité de ses  travaux, d’une part et, d’autre part, l’éminent professeur de droit public à l’université de Toulouse Pierre EGEA.

Cap-Haitien, https://www.lemiroirinfo.ca, Samedi 27 Juin 2020

 La première soutient la thèse du 7 février 2021 et l’autre celle du 7 février 2022. Ils ont, tous deux, fait un travail colossal qui mérite d’être apprécié. Les textes bien charpentés de l’un comme de l’autre auraient été irréprochables, si, pour celui-ci, l’argumentaire était basé sur la version amendée plutôt  que la version originaire de la Constitution, et, pour celle-là, la politique n’avait pas essayé de tromper sa vigilance pour tenter de prendre un peu le dessus sur le droit.

Dans le but de les concilier, je me propose de chercher et d’essayer de trouver la vérité Constitutionnelle sur la question. Pour être le plus près possible de l’objectivité, je vais essayer de distiller le droit des considérations politiques, de le purifier de tous microbes, comme on traite de l’eau pour la rendre potable.

Je refuse d’avoir une option politique préexistante que je cherche à argumenter par tous les moyens, mais je veux plutôt savoir objectivement ce que dit la Constitution, notamment dans son article 134,2.

Ma méthode est simple. Dans un premier temps, je vais rechercher les conditions d’application de l’article 134,2 de la Constitution (I) et, confronter ces conditions d’application aux faits ayant abouti à l’élection de Jovenel Moïse à la présidence d’Haïti dans un second temps (II).

I- Conditions d’application de l’article 134,2

Pour mieux dégager les conditions d’application de l’article 134, 2 de la Constitution, je vais tout d’abord reproduire son contenu in extenso et ensuite questionner ce contenu.

L’article 134,2 de la Constitution de 1987 amendée dispose: L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection.

Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant  7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection. Visiblement, l’article 134,2 introduit une exception qui déroge à la règle générale posée par l’article 134,1. Cette règle générale dispose que “la durée du mandat présidentiel est de 5 ans” du 7 février (qui suit l’élection) au 7 février (de la cinquième année). Selon l’article 134,2, cette durée peut être moindre que cinq ans, exceptionnellement. Cette exception est ainsi formulée: “son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection”. Il reste à savoir dans quel cas cette exception s’applique.

Pour trouver un élément de réponse, interrogeons l’article 143,2: dans quel cas la durée du mandat présidentiel est censée avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection? Il suffit de relire l’article pour trouver les deux réponses suivantes:

1. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant 7 février ;

2. Et que le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin.

Donc, on peut déduire de l’article 134,2 de la Constitution, la règle suivante: pour que le mandat du président élu soit “censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection”, il faut:

1) Que le scrutin ait lieu le 7 février ou après 7 février (mais non avant cette date)

2) Et que “le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin”. Dans l’esprit du Constituant, le 7 février ayant marqué la fin de la dictature des Duvalier est une date importante. En règle générale, aucun président ne doit entrer en fonction à une date autre que celle-là. Si, exceptionnellement, des circonstances entraînent le retard des élections et que le président élu ne peut entrer en fonction le 7 février comme il se doit, il entrera en fonction immédiatement après la validation du scrutin (c’est-à-dire sans attendre le prochain 7 février), mais c’est comme s’il entrait en fonction le 7 fevrier (de l’année de l’élection).

 Toute l’économie de cette disposition, ce n’est pas de réduire le mandat présidentiel à quatre ans, mais c’est d’éviter de perdre l’échéance du 07 février, comme c’était le cas avec le président René Préval.

On peut conclure que cette disposition de l’article 134,2 déclarant que le “mandat (du président élu) est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection” s’applique à un président qui entre en fonction à une date autre que le 7 février, mais elle ne s’applique pas à un président qui entre en fonction le 07 février, sauf si ce président était élu pour compléter une vacance par application aux articles 149 et 149,1 de la Constitution.

II- Les faits Concernant le cas du président Jovenel Moïse

Dans le Cas du président Jovenel Moïse, quand doit-il quitter le pouvoir? Le 7 février 2021 ou le 07 février 2022? Pour trouver la réponse de la Constitution à cette préoccupante interrogation, il suffit de poser les deux interrogations suivantes à la lumière des dispositions de l’article 134,2.

1. Son élection a-t-elle eu lieu avant ou après 7 février?

2. Est-il entré en fonction immédiatement après la validation du scrutin?

Ces deux questions suffisent à résoudre l’énigme. Si son élection a eu après le 7 février, il est possible que son mandat prenne fin le 07 février 2021 à condition qu’il soit entré en fonction immédiatement après la validation du scrutin. Dans le cas contraire, ce sera le 7 février 2022.

Que dissent les faits? Les élections présidentielles ont eu lieu le 20 novembre 2016, après l’annulation des présidentielles de 2015 et la reprise à zéro du processus. Jovenel Moïse est proclamé président élu de la République d’Haïti le 03 janvier 2017. Il est entré en fonction le 07 février 2017.

À partir des faits essayons de répondre aux deux interrogations ci-dessus.

1- Si le processus de 2015 avait abouti, Jovenel Moïse aurait dû succéder au président Michel Martelly le 7 février 2016. À la première question, il faut donc répondre: les élections du 20 Novembre 2016 qui ont porté Jovenel Moïse à la présidence ont donc eu lieu après le 7 février.

2- Comme Jovenel Moïse est proclamé président élu le 03 janvier 2017, s’il entrait le jour même en fonction, ou le lendemain, en tout cas savant le 07 février 2017, on dirait qu’il est entré en fonction “immédiatement après la validation du scrutin”. Mais comme il est entré en fonction le 7 février 2017, il n’est pas entré en fonction immédiatement après la validation du scrutin.

Conséquemment, puisqu’il n’est pas entré en fonction immédiatement après la validation du scrutin, son mandat n’est pas censé avoir commencé le 7 février 2016 (l’année de l’élection).

Selon l’Esprit et les lettres de la Constitution de 1987 amendée, le mandat du président Jovenel Moïse commence donc le 7 février 2017 et se terminera, cinq ans plus tard, le 7 février 2022.

Est-ce que c’est ce qui est souhaitable pour le pays? C’est un autre débat que la politique pourra alimenter. Quant au droit, il dit son mot.

Auteur : Gosner PAUL, Avocat au barreau du Cap-Haïtien.