Lors de la tenue des législatives en 2015, un groupe de dix (10) de sénateurs ont été élus. Ainsi, l’article 95 de la Constitution en vigueur renvoie à la loi électorale (art.94-2 de la Constitution) pour déterminer la durée du mandat des sénateurs.
Port au Prince, https://www.lemiroirinfo.ca, Samedi 18 Janvier 2020
Toutefois, les rédacteurs de ladite Constitution ont malheureusement institué une confusion sur la notion de renouvellement du sénat par un tiers tous les deux ans. Si le pouvoir exécutif estime que la durée du mandat des sénateurs commence à courir à partir de la date officielle du renouvellement, les « SAGES » prétendent que la date de leur prestation de serment constitue la date de départ de la durée de leur mandat.
En principe, si on tenait compte de la thèse des sénateurs plaignants, la durée légale et constitutionnelle de leur mandat terminerait effectivement en 2022 puisqu’ils ont prêté serment en 2016.
En revanche, le président de la République s’est fondé sur une autre disposition constitutionnelle (art 95-3) pour conclure à l’expiration du mandat de ces derniers. C’est ainsi que le chef de l’État a écourté son sommeil la nuit du 12 au 13 janvier 2020 pour déclarer à la première heure du 13 janvier, soit minuit et deux minutes, avoir constaté la caducité du Parlement haïtien suite à la fin du mandat des 20 sénateurs. Et tôt le matin du 14 janvier, l’accès au Sénat a été refusé par la police nationale à ces 10 sénateurs.
Bien que cette décision modifie la situation juridique des sénateurs, le chef de l’État semblait s’inspirer d’un tweet de l’auteur ayant présagé la fermeture de la voie d’un procès administratif à travers la seule inexistence d’un arrêté présidentiel en ce sens. Face à cette situation, les sénateurs ont multiplié des actions judiciaires et administratives, en ce sens qu’ils citent le président de la République devant le tribunal correctionnel pour infractions de pot-de-vin et abus de fonction et ils saisissent parallèlement le Conseil électoral provisoire (CEP) pour violation du décret électoral au regard de l’article 197 dudit décret.
La multiplication de ces actions est-elle susceptible de rétablir ces sénateurs dans leurs droits ?
Sans porter son analyse sur la durée constitutionnelle et légale du mandat des sénateurs de la République, l’auteur se contente de se pencher, à travers les actions initiées par les sénateurs, sur la survie de l’immunité de juridiction en faveur du chef de l’État (I) avant de démontrer la possibilité offerte aux sénateurs pour se faire rétablir dans leurs droits (II).
I- La survie de l’immunité de juridiction
En effet, le sénateur Jean Renel SENATUS a évoqué la déclaration qu’aurait faite l’un des conseillers du président de la République sur les ondes de la radio Caraïbes sur un éventuel accord entre le chef de l’État et des sénateurs de la République. Pour paraphraser le premier sénateur de l’Ouest, Monsieur Jude Charles FAUSTIN, conseiller du président de la République, aurait déclaré que la prolongation du mandat des sénateurs en 2018 était en corrélation avec des avantages financiers et autres administratifs. Le premier sénateur a tenu pour vraies ces informations, en ce sens qu’il estime que le tweet du 13 janvier du président de la République n’est que l’illustration des propos tenus par son conseiller politique.
Au vrai, le législateur de 2016, à travers la loi du 27 janvier 2016, a dématérialisé la preuve de l’infraction. Avec l’apparition de cette loi, une simple information est susceptible de faire l’objet de contestation judiciaire dès lors que celle-ci est mise sur un support matériel (CD ou clé USB). Cette inspiration législative haïtienne est sans doute empruntée de la jurisprudence française (C.cass. française, 8 janvier 1979).
Il convient de préciser que la réflexion de l’auteur ne porte pas sur l’effectivité de la commission des infractions par le chef de l’État. Ce qui importe pour ce dernier, c’est d’analyser l’admission de la dématérialisation de l’infraction dans le procès pénal. Pour mémoire, la commission de toute infraction est subordonnée à la réunion de trois éléments: légal, matériel et intentionnel. À défaut d’un des éléments, l’infraction ne peut pas être caractérisée.
En l’espèce, il est reproché au chef de l’État d’avoir commis les infractions de corruption reposée sur les pots-de-vin et abus de fonction. Sur le fondement de la loi du 9 mai 2014 relative à la corruption, à l’initiative des trois (3) sénateurs, le chef de l’État est cité devant le tribunal correctionnel pour répondre de ces faits délictueux. Pour ce faire, il incombe aux initiateurs de cette démarche judiciaire d’apporter la preuve écrite ou une conversation téléphonique enregistrée sur un support matériel. Dans le cas contraire, il paraît impossible de justifier la matérialité de ces infractions.
Par ailleurs, il est énoncé à l’article 186 de la Constitution en vigueur que le président de la République, le Premier ministre et les ministres ne sont justiciables que devant la Haute Cour de justice. Bien que l’article 4 de la loi du 9 mai 2014 fasse sauter l’immunité présidentielle, en tout état de cause il n’est pas permis de remettre en cause l’immunité de juridiction dont bénéficient le président de la République, le Premier ministre et les ministres dans un procès pénal pour des infractions commises dans l’exercice de leur fonction.
À cet effet, une enquête administrative sous la houlette de l’Unité de Lutte contre la Corruption(ULCC) demeure toujours envisageable, mais le processus judiciaire se heurterait au principe de la hiérarchie des normes en analysant l’appréciation de la loi du 9 mai 2014 à la Constitution. Donc, dans l’hypothèse où la preuve de la matérialité de ces infractions est apportée par les sénateurs, toutes infractions commises par le président de la République relèveraient de la juridiction de la Haute Cour de justice au regard de l’article 186 de la Constitution. Cette solution vaut également pour les ministres et le Premier ministre pour toutes fautes pénales commises dans l’exercice de leur fonction.
II- La potentielle survie du mandat des sénateurs
En effet, parmi les droits protégés par la Déclaration des droits de l’homme, les droits politiques ( art. 23 de la Convention américaine du 22 novembre 1969 relative aux droits de l’homme) incluent la Convention américaine relative aux droits de l’homme.
En principe, les droits politiques s’attachent au droit de vote et à celui d’être élu ( art. 23.1, al.b de la Convention). Alors, tout mandat électif comporte par extension le droit du mandat de l’élu. De ce fait, toute décision de l’exécutif visant à modifier la situation juridique d’un élu revêt un caractère administratif. C’est dans ce contexte que l’auteur a évoqué la potentielle ouverture de la voie de recours administratif aux sénateurs dans l’hypothèse où le chef de l’État prendrait un arrêté pour affirmer la caducité du Parlement ou du dysfonctionnement de celui-ci. Ainsi, la seule publication d’un éventuel arrêté au journal le Moniteur suffirait à offrir la possibilité à ces sénateurs pour saisir la justice administrative (Cour Supérieure Administrative et du Contentieux Administratif) pour faire respecter leur mandat en faisant valoir la prérogative constitutionnelle.
En revanche, le constat de la caducité fait par le président MOÏSE à travers un tweet ne peut s’analyser comme un acte administratif. Le défaut de caractère administratif du comportement du chef de l’État prive les sénateurs de faire valoir la durée de leur mandat devant la justice administrative. Néanmoins, le refus d’accès au sénat sous les ordres de la Police nationale par un procès-verbal d’un juge de paix pourrait établir un acte administratif implicite. Aussi, la suspension des chèques par le Trésor public au bénéfice des sénateurs pourrait être tenue pour un acte administratif implicite.
Par ailleurs, il importe de rappeler que le Trésor public est émané du gouvernement et la Police nationale relève du pouvoir hiérarchique du Premier ministre en matière de mesures de sécurité. Alors, il est évident que toute suspension de chèques des sénateurs et toutes mesures de sécurité entrent directement dans le champ de la responsabilité du Premier ministre en qualité de chef du gouvernement et excluent la responsabilité personnelle et directe du président de la République.
Si l’inspiration du coup de maître du chef de l’État ferme la voie de recours administratif aux sénateurs sur le plan interne, les élus plaignants pourraient évoquer l’illégalité du Conseil électoral provisoire(CEP) du fait que celui-ci ait été institué par un consensus politique pour organiser la présidentielle de 2016, et que son mandat expire à la fin de cette élection. Alors, le caractère de facto du CEP mettrait les sénateurs en difficulté de faire valoir ses droits politiques. L’impossibilité
pour les sénateurs de faire respecter ses droits politiques dans la législation interne en raison de l’illégalité et l’illégitimité du CEP et de l’impossibilité de la saisine de la Cour des comptes pourrait servir de base légale pour la saisine de la Cour interaméricaine des droits de l’homme à travers le filtre de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, conformément aux articles 28.8 du règlement de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et 46.b de la Convention.
C’est dire qu’il est fondamental pour ces sénateurs de démontrer le caractère grave du refus d’accès au sénat, et que les élus plaignants sont dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits politiques devant une juridiction interne.
En raison du caractère irréparable du dommage dont aurait fait l’objet les sénateurs victimes, la Cour pourrait justifier une DEMANDE DE MESURES PROVISOIRES (art. 25.6, al.b du règlement de la Commission et art. 63 de la Convention), en précisant les raisons pour lesquelles ils ne seraient pas en mesure de faire valoir leurs droits politiques devant les juridictions nationales. Avec cette éventuelle action devant la juridiction régionale américaine, le droit haïtien pourrait prendre un nouvel essor considérable.
Me. Guerby BLAISE
Avocat et Enseignant-chercheur, Droit pénal et Procédure pénale
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